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19 mars 2013 2 19 /03 /mars /2013 09:45

 

Qu’est-ce qui peut justifier la désobéissance aux lois ?

 

Analyse du sujet.

  1. Pour commencer, si l’on parle de la désobéissance aux lois, il faut que nous essayions de préciser de quelles lois il s’agit. On peut partir d’exemples : la désobéissance aux lois concerne d’abord les lois juridiques (le vol par exemple mais aussi des désobéissances d’un genre différent, comme les personnes qui procèdent à des actes d’euthanasie par exemple ou qui hébergent des personnes en situation irrégulière), on peut aussi désobéir aux lois morales (mentir par exemple ou tromper quelqu’un) ou à une loi religieuse (ne pas respecter un interdit, alimentaire par exemple). Donc, dans un premier temps on peut noter que la question de la désobéissance aux lois est une question plus large que seulement juridique, qui concerne différents types de lois. A partir de là, nous pouvons essayer de définir ce qu’il faut entendre par loi. Qu’y a-t-il de commun aux lois morales, juridiques et religieuses ? Y a-t-il d’autres types de lois ? S’il faut entendre le mot loi au sens large, en effet, nous pouvons toutefois exclure du champ de réflexion du sujet la loi scientifique ou la loi de la nature. En effet, les lois de la nature sont ce qui régit le fonctionnement de la nature qui nous environne, les lois scientifiques décrivent ces lois de la nature. La différence entre ces lois et les autres lois que nous avons évoquées sont que les lois de la nature et de la science relèvent du fait : elles sont ce qui est ou disent ce qui est. Dès lors, il est en réalité impossible d’y désobéir. Je ne peux pas décider de ne plus mourir ou de me mettre à voler. Donc, la question de la désobéissance à ces lois-là ne se pose pas. On peut donc exclure de notre réflexion ce type de lois. En revanche, il reste à trouver une définition commune aux trois autres types de lois que nous avons évoquées, religieuses, morales et juridiques. Or, on voit bien que, dans chacun des cas, si nous pouvons y désobéir c’est que ces lois nous imposent des devoirs, des obligations ou posent des interdits. La première caractéristique de ces lois est donc leur caractère prescriptif – contrairement aux lois « descriptives » de la nature ou de la science (de l’ordre du fait), ces lois sont prescriptives, elles ne disent pas ce qui est mais ce qui doit être (ou ne pas être), ce sont des normes. Toutefois, comment distinguer une loi d’une règle par exemple ? Pourquoi d’ailleurs parle-t-on de lois aussi bien pour les lois de nature que pour le droit, alors que certaines sont descriptives quand d’autres ne le sont pas. Il y a une autre caractéristique des lois qui va nous importer, c’est leur généralité. Une loi (cette fois-ci quelle qu’elle soit), exprime un rapport général entre différents phénomènes (naturels pour les lois de la nature et de la science : par exemple le rapport entre la température de l’eau et son état – quand l’eau atteint 100°, elle bout ; humains, sociaux pour les lois morales ou juridiques par exemple – le rapport entre l’acte, l’infraction commis et la peine encourue). Contrairement à une règle qui porte sur une réalité particulière (par exemple, le règlement d’un établissement), la loi se reconnaît donc à sa généralité voire à son universalité. Cette dimension importe car peut-être est-ce là l’une des raisons de justifier la désobéissance aux lois. En effet, il peut arriver (nous l’avons déjà évoqué pour le cas du mensonge avec la polémique entre Kant et Constant) que la loi générale soit inadaptée à certains cas particuliers ce qui justifierait alors peut-être une désobéissance dans ces cas.

 

  1. La question de la loi est ici abordée à partir de la désobéissance à celles-ci. Nous devons donc, maintenant que nous avons un peu mieux précisé ce qu’étaient les lois, essayer de préciser ce que signifie désobéir à celles-ci. Désobéir aux lois, c’est enfreindre la prescription de celle-ci. Cette désobéissance peut prendre des formes très variées, des plus violentes (rébellion, révolution), aux plus triviales (vols) aux plus nobles et pacifiques (ce que l’on appelle la désobéissance civile qui se caractérise par sa non-violence). C’est donc essentiellement dans ses moyens, c'est-à-dire dans sa forme, que l’on pourra faire varier différents sens ou plutôt différents types de désobéissance. Ces distinctions pourront être intéressantes parce que peut-être que la désobéissance ne peut pas être justifiée de la même manière selon qu’elle est, par exemple, violente ou non (désobéissance civile – dont l’exemple-type est celui de Thoreau qui cessa de payer ses impôts pour protester contre la guerre des Etats-Unis contre le Mexique et contre l’esclavage contre émeutes par exemple, comme celles qui ont agité les banlieues en 2005). On peut aussi distinguer les désobéissances en fonction de leur fin : celle-ci peut en effet être l’intérêt particulier (c’est le cas du vol – comme on l’a déjà vu aussi, le voleur ne veut pas que la loi qui interdit le vol soit abolie, ce qui l’intéresse, c’est de pouvoir contourner cette loi pour son intérêt individuel. C’est pareil pour le mensonge : on a déjà montré que si tout le monde mentait – c'est-à-dire si l’interdit du mensonge n’avait plus court – le menteur serait le premier à être pénalisé par cette situation). Au contraire, la désobéissance peut viser l’intérêt général : c’est, à nouveau, le cas de la désobéissance civile, dont l’objectif n’est pas de contourner la loi pour en tirer profit, mais de la contourner pour en signifier l’injustice et dans l’espoir d’aboutir à une modification de la loi. On peut même du coup en conclure que la désobéissance civile se fait pour la loi et dans le respect de celle-ci. Ces différences entre les fins et les moyens de la désobéissance nous permettront donc peut-être de nuancer notre réponse. Nous ne pourrons peut-être pas répondre la même chose, selon le type de désobéissance dont il est question.

 

  1. A partir de là, la question posée est celle de la justification. Première remarque, la question dans sa formulation laisse planer le doute sur le succès d’une telle emprise. Qu’est-ce qui peut bien justifier la désobéissance aux lois ? Comment justifier une telle chose ? Peut-être saisira-t-on du coup bien l’enjeu du sujet si nous comprenons pour commencer ce que la désobéissance aux lois peut avoir d’injustifiable. Pour cela, il faut d’abord nous demander à quoi sert la loi, quelle est son utilité. Il est, à nouveau, difficile de répondre de manière générale. Toutefois, si l’on s’intéresse aux trois types de lois que nous avons évoquées (lois morales, religieuses, juridiques), nous voyons que ces lois servent à réguler les relations entre les hommes, en fixant la limite de ce qu’ils ne doivent pas se faire pour ne pas se nuire. Si la liberté des uns commence là où s’arrête des autres (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), c’est aussi par rapport à l’autre que la morale kantienne par exemple se justifie (c’est l’impératif catégorique : « Agis comme si la maxime de ton action pouvait être érigée par ta volonté en loi universelle de la nature »), c’est aussi enfin, dans la religion, dans le but de pacifier les relations aux autres (et de les charger d’amour plutôt que de haine) qu’un certain nombre de préceptes s’imposent aux hommes. On peut donc en conclure que les lois prescriptives auxquelles nous nous intéressons ici ont pour but de rendre plus facile la vie des hommes entre eux. Dans cette perspective, la désobéissance est difficilement justifiable, car elle risque d’introduire la discorde, le chaos, la désorganisation d’une société pacifiée dont tout le monde bénéficie. Au final, si j’ai besoin de lois et si j’ai intérêt à ce que les lois soient suivis et donc que moi-même je les suive, c’est peut-être donc d’abord parce que cela garantit une stabilité sociale qui m’est profitable (mieux vaut en effet vivre en société que vivre tout seul, nous l’avons déjà évoqué). Voilà pourquoi il faut se demander ce qui peut justifier la désobéissance aux lois : celle-ci ne va pas de soi et paraît dans un premier temps peut-être injustifiable (mais d’ailleurs il n’est pas impossible d’envisager que l’une des pistes de réponse au sujet soit que rien ne justifie la désobéissance aux lois). Cela est d’autant plus le cas que la loi n’est efficace que si tous lui obéissent (ce que nous avons aussi déjà vu). L’intérêt que chacun respecte la loi, c’est que les autres la respectent aussi et l’objectif visé par la loi ne peut être atteint que si elle s’applique à tous ou à la plupart. Interdire le vol ou le mensonge ne vaut pas pour mon cas individuel mais pour tous et c’est pourquoi que la loi exprime un rapport général voire universelle. Ainsi, désobéir à la loi, c’est mettre en danger la possibilité même de celle-ci. Bien sûr, concrètement, parce qu’un individu désobéit cela ne signifie que la loi devient inefficace ou inapplicable. Mais, symboliquement, celui qui désobéit fait courir ce risque puisque s’il peut faire exception à l’obéissance due à la loi, on ne voit pas pourquoi les autres ne pourraient pas aussi faire exception.

 

  1. Or, on voit immédiatement le problème : nous savons, ne serait-ce que parce que l’histoire nous l’a appris, que certaines désobéissances sont justifiées. C’est le cas pour des exemples pour ainsi dire évidents (la résistance pendant la seconde guerre mondiale par exemple, les luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis, la lutte contre l’apartheid, le mouvement de désobéissance civile de Gandhi, par exemple, etc…). Dans ces cas particuliers, où les lois imposées bafouent les droits de l’homme (au point que la communauté internationale elle-même peut s’en offusquer comme ce fut le cas pour l’afrique du sud boycottée pendant l’apartheid), la désobéissance semble aller de soi (même si l’on verra que ce n’est d’ailleurs peut-être pas le cas et que même dans ces situations la désobéissance fait courir à la société un risque peut-être encore plus grave que l’injustice, celui du chaos, ce que montre d’ailleurs bien la situation sud-africaine actuelle). D’autres cas moins évidents peuvent aussi retenir notre attention. Aurait-on légalisé l’avortement si des femmes n’avaient pas désobéi pour signifier leur désaccord à l’égard de son interdiction. Il est évidemment difficile de dire ce qui aurait pu avoir lieu si les choses avaient été différentes, mais on peut quand même supposer que si personne n’avait jamais désobéi à certaines lois, elles n’auraient jamais évolué. Les lois concernant les mœurs changent parce que les mœurs eux-mêmes changent (avortement, homosexualité, euthanasie) or comment savoir que les mœurs ont changé ? C’est bien parce que certaines personnes désobéissent que le politique peut prendre conscience de l’apparition d’un problème. Donc nous voyons que si nous avons besoin des lois auxquels tous dans leur grand majorité obéissent (sinon les lois ne servent plus à rien), nous avons aussi besoin que parfois on désobéisse à certaines lois. Donc, la question qui se pose à ce moment-là va être la question du critère. On ne peut pas ne jamais désobéir, la loi ne saurait souffrir absolument aucune exception, mais on ne peut pas non plus toujours désobéir (ou alors la loi ne sert plus à rien). Il faut donc trouver un critère qui nous permette de savoir quand la désobéissance est justifiée.

 

  1. Le sujet soulève donc cette question du critère : la question de la justification de la désobéissance aux lois, c’est la question des raisons qui peuvent rendre la désobéissance aux lois légitimes. Il faut dès lors préciser ce que signifie la justification. D’abord, on peut distinguer justifier et expliquer. Expliquer, c’est donner les causes, de manière purement descriptive. Une désobéissance aux lois ne vient pas de nulle part. Elle est provoquée par quelque chose, elle a une origine, une cause. Expliquer c’est donc chercher dans ce qui précède la désobéissance ce qui a pu la provoquer. Par exemple, quelqu’un qui vole des aliments l’aura peut-être fait pour survivre – c’est la faim qui pousse alors à désobéir. Cette explication est neutre : on ne fait que constater et décrire les faits. Or, justifier c’est autre chose et plus que cela : il s’agit non seulement de trouver la cause mais de montrer qu’elle est légitime, fondée – cela devient alors une raison. La faim qui a poussé l’homme de notre exemple à voler explique son acte mais ne le justifie par exemple pas forcément. En effet, n’y avait-il pas d’autres possibilités que le vol pour survivre et obtenir de quoi se nourrir. La cause n’est donc pas toujours une raison et ce que nous cherchons c’est donc une raison qui rende légitime la désobéissance aux lois. On peut justifier ainsi de plusieurs manières. Nous voyons que dans justification on retrouve le mot juste. Justifier, c’est montrer que la désobéissance à la loi était juste. Il s’agit donc, pour reprendre ce que nous disions plus haut, de trouver un critère qui permette de dire quand on peut légitimement désobéir, et nous voyons ici que cela demande de trouver un critère du juste. Nous cherchons donc un critère de justice qui serait au-dessus des lois (morales, religieuses, juridiques) et nous permette de les juger pour pouvoir dire avec certitude quand elles sont injustes et nous pouvons donc leur désobéir. Or, cela ne va pas de soi. D’une part, un tel critère de tri doit lui-même être général. Pour parvenir à justifier la désobéissance, il faut que je parvienne à montrer que la désobéissance était juste et la loi injuste. Il faut donc que je juge la loi et que la condamne. Or, juger, c’est précisément comparer un cas particulier avec une règle générale pour en étudier la conformité ou pas. La désobéissance ne sera pas justifiée si elle n’est fondée que pour moi. Elle sera justifiée si je peux la légitimer grâce à une référence que les autres partagent. Le premier problème est qu’il ne paraît pas évident ni même possible de trouver un critère de justice général. N’avons-nous pas chacun une conception différente du juste et de l’injuste selon notre religion, la société dans laquelle nous vivons, notre intérêt, etc… La première difficulté à justifier la désobéissance aux lois tient donc peut-être à la difficulté que nous avons à trouver un critère général de justice, que d’autres puissent partager, nous permettant de juger la loi et de savoir quand nous pouvons légitimement lui désobéir. Par ailleurs, n’est-ce pas précisément le droit, la morale ou la religion qui sont supposés nous permettre de distinguer le juste de l’injuste. Quel critère pouvons-nous donc trouver qui serait au-dessus de ces lois ? Pour quelle raison enfreindre les lois morales, pour quelles raisons enfreindre les lois juridiques, etc… ? La question se pose à l’évidence beaucoup plus pour les juridiques – également parce qu’un pouvoir doté d’une certaine force de coercition a pour fonction de veiller à leur application. Elles sont donc plus contraignantes. La question aussi davantage pour les lois juridiques car leur élaboration pose davantage problème. Même dans une démocratie, les lois sont le résultat d’un processus qui favorise la majorité. La délibération y est possible (à l’Assemblée par exemple) mais pas toujours effective, et on comprend alors que les lois qui sont proposées et votées par le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif peuvent aller à l’encontre des conceptions que les uns et les autres se font de la justice et ne peuvent satisfaire tout le monde. On peut alors estimer que la désobéissance est justifiée lorsque la loi juridique heurte ainsi nos principes moraux ou même religieux – en somme, on désobéirait aux lois au nom d’une autre loi… (c’est la question de la tolérance qui existe depuis bien longtemps : peut-on désobéir lorsque ce que la loi m’impose ou m’interdit va à l’encontre de ce que ma religion m’impose ou m’interdit). Donc on peut alors comprendre pourquoi nous pouvons être tentés d’aller à l’encontre de la justice que le droit nous propose. Mais nous retombons sur le même problème : il y a une pluralité des conceptions de la justice, et toute loi finirait alors forcément par être enfreinte parce qu’elle s’opposera forcément à la conception de la justice de quelqu’un. N’est-ce pas justement pour essayer de proposer un consensus sur le juste et l’injuste que le droit existe ? N’a-t-il justement pas pour objectif de nous faire partager des lois là où la morale et la religion ont échoué ? Nous voyons donc qu’il y a plusieurs difficultés à trouver une justification de la désobéissance si nous espérons trouver un critère général qui justifie celle-ci : une telle généralité semble impossible à atteindre et c’est d’ailleurs pour cette raison que les lois juridiques notamment mais aussi dans une moindre mesure morale et religieuse.

 

  1. La question de la justification pose aussi la question du type de raisons qui peuvent être avancées : spontanément, on sera sans doute tenté de dire que nous cherchons des raisons morales permettant de justifier la désobéissance. Cela nous ramène à ce que nous disions précédemment, c'est-à-dire le fait que l’on cherche alors des lois morales de justice dont on suppose qu’elles sont supérieures au droit et nous permettent de désobéir à celui-ci. Mais ces raisons peuvent aussi être juridiques : n’est-il pas possible de trouver dans le droit des raisons justifiant la désobéissance aux lois ? Il y a en apparence une contradiction. Comment le droit pourrait-il en effet poser une loi et, dans le même temps, en justifier la désobéissance ? Pourtant, n’est-ce pas ce qui arrive lorsqu’un tribunal reconnaît la légitime défense par exemple ? Dans ce cas, en effet, il est reconnu que l’acte illégal qui a été commis (attenter à l’intégrité de quelqu'un, peut-être en allant jusqu’à le tuer), était justifié pour des raisons juridiques – ce n’est pas qu’il est moralement juste de nous défendre, mais c’est plutôt qu’il est juridiquement autorisé de nous défendre. De la même manière, lorsqu’on a reconnu un non-lieu dans le procès du médecin et de la mère de Vincent Humbert, on a reconnu que juridiquement, en conformité avec la loi, cet acte de désobéissance était légitime (reconnaître un non-lieu, cela revient même à considérer qu’aucun acte illégal n’a été commis). Dernier exemple, en 2005, on a aussi acquitté des faucheurs d’OGM en considérant qu’ils avaient agi dans un état de nécessité, c'est-à-dire qu’ils n’avaient pas eu le choix. Selon le tribunal, les prévenus ont « apporté la preuve qu’ils (avaient) commis une infraction de dégradation volontaire de bien d’autrui en réunion, pour répondre de l’état de nécessité qui résulte du danger de diffusion incontrôlée de gènes provenant des organismes génétiquement modifiés, dont la dissémination avait été autorisée par la loi française, contrairement au droit constitutionnel européen ». Nous voyons aussi que dans certains de ces cas (légitime défense, état de nécessité), la justification tient à la contrainte qui pèse sur les individus et qui provoquent la désobéissance comme une conséquence inévitable. Reconnaître l’état de nécessité, c’est reconnaître que l’acte commis était nécessaire, c'est-à-dire qu’il ne pouvait pas ne pas être. C’est donc reconnaître qu’une causalité irrépressible s’exerce sur les individus et les a poussés à agir comme le domino tombe non pas par choix mais parce qu’il est poussé par celui qui le précède. C’est flagrant pour la légitime défense : celle-ci n’est reconnue que quand l’acte commis est une réponse proportionnée à une menace imminente. Dans cette situation, j’ai le choix entre me laisser mourir et me défendre, sans bénéficier du laps de temps qui me permettrait d’attendre l’intervention des forces de l’ordre pour assurer ma défense. Je suis contraint de désobéir pour me défendre, par la nature qui parle en moi et l’instinct de survie qui s’exprime dans ma volonté de me défendre (même, d’ailleurs, la passivité que je peux manifester – car tout le monde ne se défend pas sous la menace – est le signe de cet instinct de survie car se soumettre peut paraître une meilleure manière de survivre que de mener un combat inégal). Dans ces cas, donc c’est la nécessité qui fait office de justification. Même si nous avons distingué la cause et la raison, la cause pourrait donc être raison quand elle est irrépressible. Il est justifié de désobéir quand nous y sommes contraints par une nécessité qui nous dépasse. D’ailleurs, il serait inefficace et inutile de dire que cette désobéissance est illégitime, puisque la menace d’une sanction à moyen voire long terme ne pourrait pas m’empêcher de satisfaire mon instinct de survie et de me défendre face à une menace imminente. Peut-être est-ce, plus simplement, la raison pour laquelle le droit reconnaît la nécessité comme une justification. Dans tous ces cas, nous voyons que le droit – par l’intermédiaire du système judiciaire plus que par l’intermédiaire du système législatif – a la possibilité de reconnaître la justification d’une désobéissance. Les raisons qui justifient la désobéissance ne sont pas seulement morales mais peuvent donc aussi être juridiques.

 

  1. Enfin, ce que montrent aussi ces exemples, c’est que cette justification peut avoir lieu a posteriori et n’est pas nécessairement a priori. Idéalement, bien sûr, il faudrait pouvoir justifier la désobéissance avant de s’y livrer car c’est la seule condition qui paraît nous permettre de nous assurer que ce que nous faisons est légitime quand nous désobéissons. Avant de désobéir, si nous avons un doute sur la légitimité de cette désobéissance, nous nous posons donc cette question. Mais la justification peut aussi venir après coup. D’ailleurs, on se justifie souvent après-coup, une fois que quelque chose a été commis qui n’aurait pas dû l’être et que l’on nous demande d’en assumer la responsabilité et d’en rendre raison. Il peut même y avoir, dans l’idée de justification, l’idée d’une sorte de falsification, qui reviendrait à trouver des excuses à ce qui ne devrait pas en avoir. Nous voyons ici que, précisément, la justification peut être apportée a posteriori par les instances qui ont pour fonction de nous juger et devant lesquelles nous devons rendre raison des infractions commises (en premier lieu donc le tribunal). A posteriori, ce sont aussi les faits qui peuvent justifier une désobéissance. Lorsque l’on désobéit, on court un risque, nous l’avons vu d’instaurer un chaos peut-être plus problématique que l’injustice qui nous a amenés à désobéir. On arbitre donc entre chaos et injustice, préférant courir le risque de sacrifier l’ordre à accepter qu’une injuste perdure et faisant alors le pari que la justice et l’ordre finiront par l’emporter. On ne peut savoir si ce pari est réussi qu’a posteriori et parfois à très long terme. N’est-ce pas seulement aujourd’hui, au moment de l’accession d’un homme noir à la présidence des Etats-Unis que l’on peut dire que les désobéissances contre la ségrégation ont pleinement porté leurs fruits ? Il s’est écoulé un temps très long entre la révolution française et l’avènement d’une République stable, couronnant de succès le mouvement révolutionnaire et républicain. On pourra donc chercher dans les conséquences de la désobéissance et sa réussite ou pas sa justification. A l’égard de toutes ces raisons qui peuvent être invoquées, il faudra donc nous demander celles qui sont solides et celles derrière lesquelles se cacheraient une justification-falsification.

 

  1. C’est là, pour terminer, le sens que prend le verbe « pouvoir » dans le sujet. Comme pour tout sujet reprenant ce terme, il faut distinguer la possibilité de fait et la possibilité de droit. La possibilité de fait nous demande si nous sommes capables de justifier la désobéissance aux lois. Nous avons déjà vu qu’il y avait plusieurs raisons qui rendent difficiles le fait de trouver un critère général et objectif permettant d’établir quand la désobéissance est justifiée. Peut-être que nous ne pouvons pas justifier la désobéissance aux lois parce que nous ne pouvons pas trouver un tel critère et que c’est précisément la raison pour laquelle des lois existent, qui doivent servir à proposer une justice sur laquelle tout le monde s’accorde puisqu’un tel accord ne pourrait être trouvé spontanément. Donc, il semble peut-être y avoir une impossibilité matérielle à apporter des réponses à la question de la désobéissance. Ensuite, cette incapacité matérielle est peut être due à une impossibilité logique : comme on l’a dit, justifier la désobéissance, c’est trouver un critère général qui fasse de cette désobéissance quelque chose de légitime. Mais il y aurait une contradiction à ce que la loi soit simultanément ce qui pose les interdits et ce qui légitime les infractions. En fait, il faut soit reconnaître que différents types de lois puissent entrer en conflit (qu’une loi légitime ce qu’une autre interdit) soit qu’au sein d’une même loi il puisse y avoir un conflit (que quelque chose soit par exemple à la fois proscrit et légitimé). La contradiction tient aussi au fait que celui qui justifie la désobéissance aux lois s’érige en juge de la loi (il la juge injuste, ce qui justifie sa désobéissance) donc se retrouve dans le statut contradictoire d’être à la fois celui qui obéit aux lois (et est donc en-dessous d’elles) et celui qui juge les lois (donc au-dessus d’elles). Donc, la deuxième question est de savoir s’il n’est pas logiquement contradictoire de justifier la désobéissance aux lois, c'est-à-dire, pour le dire dans l’autre sens, si l’on n’est pas dans l’incapacité de justifier cette désobéissance parce qu’elle serait logiquement contradictoire. La question de la possibilité se pose aussi « de droit » - c'est-à-dire qu’on ne se demande plus si on a la capacité à justifier la désobéissance mais s’il est légitime de le faire, s’il est, en quelque sorte, justifié de justifier la désobéissance aux lois. Comme on l’a déjà évoqué, cette justification semble pouvoir être de trois types : soit morale a priori (on fonde la désobéissance dans un principe moral dont on estimerait qu’il serait supérieur au droit et nous permettrait donc de le juger, et donc, en quelque sorte, de nous ériger en juge du droit), soit juridique a posteriori (on fonde la désobéissance dans un principe juridique par lequel l’autorité judiciaire reconnaît que cette désobéissance était légitime voire nécessaire), soit factuelle a posteriori (on fonde la désobéissance dans un principe de réalité qui fait que l’on reconnaît que la désobéissance était justifiée parce qu’elle s’avère avoir eu des conséquences positives, même si dans un premier temps cela n’allait pas forcément de soi).

Problématisation.

Si l’on résume donc les différents points que nous avons vus :

  • D’abord, on constate que l’enjeu du sujet tient à ce qu’il faut trouver un intermédiaire entre deux extrêmes : ne jamais justifier la désobéissance aux lois (ce qui serait le plus sûr chemin vers une forme de dictature), toujours justifier une désobéissance aux lois (le plus sûr chemin vers l’anarchie). Donc on cherche un critère qui nous permette d’identifier les situations dans lesquelles la désobéissance est justifiable (presqu’un outil qui permettrait aux citoyens, lorsqu’ils sont sur le point de désobéir, de savoir si c’est justifié ou non).

  • La difficulté à trouver un tel critère tient à plusieurs facteurs, mais on a aussi vu que la principale difficulté réside dans le fait que la désobéissance aux lois ne peut pas être abordée de manière générale – il y a différents types de désobéissance (selon les moyens et les fins) et différents contextes (selon qu’on est dans une démocratie ou dans une dictature par exemple). Cela rend difficile de trouver un critère efficace.

  • Cette difficulté tient aussi au fait que ce que l’on entend par juste fait l’objet de nombreuses variations et que l’on voit mal du coup comment on pourrait trouver un tel critère.

  • La question devient alors : est-il possible de trouver un critère général et objectif de justice, qui soit au-dessus des lois et nous permettent de les juger pour savoir quand elles sont justes et doivent être suivies et quand elles sont injustes et ne peuvent légitimement ne pas être suivies ? A nouveau, le problème tient au fait que l’alternative entre les deux extrêmes semble aporétique et en même temps indépassable : parce que nous n’arrivons pas à trouver de critère objectif de justice, il semble qu’on doive accepter que l’on ne puisse jamais justifier la désobéissance aux lois puisque celles-ci sont nécessaires à l’ordre et au bon fonctionnement de la société, mais alors, on court le risque de nous orienter vers une dérive autoritaire du pouvoir politique. Parce que nous ne voulons pas courir ce risque, nous devons chercher un critère qui permette de légitimer la désobéissance aux lois occasionnellement, mais il nous est impossible de nous mettre d’accord sur un tel critère et l’on revient alors à notre point de départ. Il est difficile de sortir de ce cercle vicieux et c’est une solution à ce problème que nous cherchons ici.

 

Quelques remarques sur la forme du sujet.

Pour finir, il faut remarquer la forme du sujet, qui n’appelle pas une réponse par oui ou par non. Cela rend peut-être plus difficile la problématisation car on ne peut pas partir de l’alternative oui/non pour comprendre le problème posé par le sujet, mais on vient de voir que l’on peut bien le problématiser à partir d’une analyse précise du sujet. En revanche, on verra que cela appelle à davantage de vigilance pour la construction du plan parce qu’il faut éviter le plan-catalogue qui consisterait simplement à juxtaposer des réponses possible à la question posée, sous forme presque de liste (on peut répondre telle ou telle chose à la question) sans construire de véritable argumentation et sans donner de réelle structure au devoir.

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commentaires

J
" Or, on voit immédiatement le problème : nous savons, ne serait-ce que parce que l’histoire nous l’a appris, que certaines désobéissances sont justifiées. C’est le cas pour des exemples pour ainsi dire évidents (la résistance pendant la seconde guerre mondiale par exemple, les luttes pour les droits civiques aux Etats-Unis, la lutte contre l’apartheid, le mouvement de désobéissance civile de Gandhi, par exemple, etc…). "<br /> Evidents pour qui ? Par pour tout le monde. Pourquoi un droit serait-il juste parce qu'on l'estime juste à quelques uns ?<br /> Ca n'existe pas une Vérité supérieure universelle ou transcendante, il n'y a que des lois locales ou des morales locales, ou des lois ou morales temporaires. . <br /> Il y a une contradiction inhérente à la question : qu'est-ce qui peut justifier la désobéissance aux loi? L'obéissance à une autre loi. Mais si on obéit à une autre loi, ce n'est qu'un conflit de lois. Quant à soi, on obéit toujours. Quid de la désobéissance qui n'obéit à aucune loi extérieure, aucun devoir qui s'imposerait à nous ?
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