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6 novembre 2014 4 06 /11 /novembre /2014 13:25

Que gagne-t-on en travaillant ?

 

Eléments de problématisation :

La réponse à cette question semble aller de soi : on gagne sa vie à travailler (comme l’indique l’expression, « gagner sa vie »), par l’intermédiaire du salaire qui nous est versé en échange du travail fourni. Dans le sens d’emploi, le travail désigne l’activité exercée pour obtenir les moyens nécessaires à sa subsistance, dont l’homme ne dispose pas immédiatement. En ce sens d’ailleurs, le travail va au-delà du strict domaine de l’emploi pour prendre celui de labeur. L’agriculteur qui cultive sa terre et vit des produits de son exploitation travaille également pour assurer sa subsistance. Pourtant ce bénéfice est mis en question par le sujet. En posant la question ainsi, on sous-entend en effet qu’on ne saurait dire facilement ce que le travail apporte, ni même s’il rapporte quelque chose. Ainsi, la notion de labeur renvoie à la pénibilité du travail. Or, cette pénibilité n’implique-t-elle pas que le travail constitue davantage une contrainte (nous n’avons finalement pas d’autre choix que de travailler pour vivre) qu’une activité dont nous sortirions gagnants ?

Les débats de notre temps sur la « valeur » du travail, entre valorisation de celui-ci et organisation de davantage de temps libre, montrent que le travail est fondamentalement ambivalent. Il semble constituer une activité nécessaire à la réalisation de l’homme. Ne pas travailler, au-delà de la question de l’emploi, c’est ne rien faire et cela semble constituer un obstacle à la réalisation de soi. Dans le même temps, le travail est une activité pénible physiquement et son organisation sociale en fait souvent un poids. C’est pourquoi la question se pose de savoir quel est exactement le bénéfice tiré du travail, au sens strict d’emploi et au sens plus large d’activité productrice.

 

Le travail est-il une activité utile voire nécessaire dont on retirerait un gain (notre vie ou notre humanité) ou au contraire une activité nuisible ou neutre dont on ne tire rien (on ne gagne rien à travailler) voire dont on sort perdant (entreprise de déshumanisation)

 

I. Nous gagnons notre vie en travaillant.

 

Le travail se présente sans doute d’abord sous sa forme salariée : on pense spontanément à l’emploi. Le gain de celui-ci semble relativement facile à mesurer puisqu’il prend la forme quantifiable du salaire. De là, plusieurs conséquences peuvent être tirées.

  • D’abord, l’expression gagner sa vie peut être entendue en son sens le plus littéral. Le salaire ne constitue pas de l’argent de poche. Il représente d’abord la somme qui nous est nécessaire pour vivre. Il est ce qui nous permet de nous loger, nous nourrir, nous vêtir. Le travail est donc lié à la vie. Nous travaillons car ce dont nous avons besoin pour satisfaire les besoins liés à la survie ne nous est pas donné immédiatement, nous devons le produire et c’est à cela que sert le travail. Voir par exemple Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne.

  • Mais le salaire n’est pas un don. Il ne fait que compenser l’énergie et le temps dépensés pour travailler. Au final, l’opération est donc nulle : ce que je gagne (mon salaire) est reçu en échange de ce que je donne (mon temps, mon énergie, ma santé parfois). Il s’agit d’un échange, que Marx dans le Capital, qualifie même d’équitable juridiquement. Or un échange parfait, au sens strict, suppose une égalité absolue entre les deux biens échangés, sans perte ni profit. Je ne gagne donc rien en travaillant puisque ce que je reçois n’est en réalité qu’une compensation de ce que j’ai donné, pas un gain au sens strict.

  • Cela est d’autant plus vrai que le salaire « gagné » doit être immédiatement utilisé. En effet, nous ne produisons pas seuls ce qui est nécessaire à notre survie. Par mon travail, je ne peux imaginer produire tout ce qui est nécessaire pour combler mes besoins. Je suis aussi dépendante du travail des autres qui complète le mien. Ainsi, le travail comme activité productrice s’insère dans la sphère économique des échanges. Ce qui est ainsi produit et gagné est donc immédiatement réinvesti pour obtenir du travail des autres ce dont nous avons besoin pour vivre. Ainsi, l’opération est nulle. Aussitôt gagné, mon salaire est dépensé pour assurer ma survie. Voir par exemple Platon, La République sur la spécialisation et la division du travail.

 

Donc, si nous gagnons notre vie en travaillant, nous y perdons aussi quelque chose (du temps, de l'énergie) si bien qu'au final nous ne gagnons rien à travailler car ce qui est gagné est immédiatement réinvesti ou ne sert qu'à compenser ce qui a été par ailleurs perdu. Or, précisément parce que le travail est cette activité liée à la vie, est-ce que ce n'est pas une activité dans laquelle nous avons tout à perdre ? En travaillant, ne sommes-nous pas ramenés à ce que notre vie à d’animal, de contrainte par les besoins purement physiques et naturels ?

 

II. Nous perdons tout en travaillant.

 

S’il y a un échange entre mon travail et le salaire qui m’est versé, nous pouvons nous interroger sur les termes de cet échange. Ne risque-t-il pas, en effet, d’y avoir un déséquilibre entre l’activité produite par le travailleur et sa compensation ? Ce que nous perdons en travaillant n’est-il pas plus important que ce que nous recevons en échange de cette activité ?

 

  • Le travail est une nécessité vitale, nous l’avons dit. Or, le lien entre travail et vie implique que le travail constitue une contrainte. Sous sa forme générale de labeur, nous n’avons d’autre choix que de travailler. En tant qu’humanité en général, nous ne pouvons survivre qu’en extrayant de nos forces, « à la sueur de notre front », de quoi vivre d’une nature qui ne nous donne pas ce dont nous avons besoin spontanément. Le labeur nous renvoie donc aux nécessités biologiques et, en cela, il semble constituer un processus de déshumanisation dans lequel le travailleur perd tout ou partie de sa dignité d’homme. D’où l’association biblique entre travail et malédiction et, plus généralement, la connotation négative du travail.

  • Au-delà de cette connotation négative, le travail est une perte car si c’est, comme nous l’avons vu, un échange, cet échange n’est pas équilibré. Ce que je donne (mon temps qui pourrait être utilisé pour autre chose et mon énergie vitale, c’est-à-dire dans le fond ma personne toute entière) a en réalité bien plus de valeur que ce que je gagne. Voir Marx¸ Le Capital, sur le travail comme aliénation et déshumanisation du travailleur.

  • Cette perte n’est d’ailleurs pas seulement une perte pour nous (nous y perdons humanité et dignité) mais aussi pour la nature qui subit les effets négatifs de notre travail. Le travail est une confrontation avec la nature pour la transformer et la dominer et dans ce processus nous risquons de perdre ce que la nature a d’harmonieux en la défigurant et la déréglant. Voir par exemple Rousseau, Second Discours. Serres, Contrat naturel.

 

Donc, le travail est une activité aliénante dans laquelle nous risquons de perdre plus que nous ne gagnons car l’échange que constitue la relation de travail tend à se déséquilibrer au désavantage du travailleur qui n’a d’autre choix pourtant que de travailler pour vivre.

Mais, est-ce à dire qu'il ne faut pas travailler (ni comme emploi, ni comme activité de transformation de la nature)? L'homme n'a-t-il pas plus à perdre dans l'oisiveté? Le travail est en effet aussi l'effort que nous produisons pour nous élever au-dessus de notre condition initiale, c’est une activité productrice. Ne nous réalisons pas nous-mêmes en réalisant quelque chose par le travail ?

 

III. Nous gagnons notre humanité en travaillant.

 

Le travail est un processus, ce n’est jamais instantané, ni immédiat : travailler suppose toujours une certaine durée, comme l’indique d’ailleurs l’expression « en travaillant » du sujet. Ce processus est un processus de réalisation. Dans son sens large, le travail est une activité productrice, au terme de laquelle une œuvre est réalisée. N’est-ce pas dans cette activité productrice que l’homme peut se réaliser personnellement et s’élever au-dessus de sa condition animale ?

 

  • Le travail n'est pas une malédiction mais une chance qui sort l'homme de sa paresse naturelle qui l'aurait condamné à une oisiveté, à un ennui et à une animalité éternelles. Voir par exemple Kant, Réflexions sur l'éducation où Kant renverse le mythe biblique d’Adam et Eve, faisant de la malédiction qu’ils connaissent une bénédiction.

  • En effet, le travail est le moyen par lequel l'homme se libère de la nature et affirme et réalise son humanité comme esprit. Voir par exemple Hegel, Esthétique.

  • Le travail salarié ne fait pas exception à cette dimension positive du travail. Aussi aliéné soit-il par l’organisation sociale du travail, le salarié se réalise dans ce qu’il produit. Voir Sartre, L'Être et le néant. Il pouvait toutefois être judicieux de nuancer le propos en fonction des types d'emploi. Voir par exemple Méda, Le travail, une valeur en voie de disparition.

 

Conclusion générale : En travaillant et en produisant une œuvre, l’homme se réalise personnellement et réalise son humanité. Toutefois, pour que cette réalisation soit complète, il importe que l’organisation sociale du travail veille à limiter l’aliénation que l’emploi peut faire subir au travailleur.

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