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14 janvier 2014 2 14 /01 /janvier /2014 10:43

 

I. Je respecte autrui en mon nom.

I.A. L'autre : un étranger menaçant. Rousseau, Second discours, Hobbes, Leviathan.

I.B. Le droit comme régulation extérieure. Kant, Doctrine du droit. Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, p.324. Rousseau, Premier discours.

I.C. Respect et échange. Smith. recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, p.332

 

II. Je dois respecter autrui au nom de son humanité.

II.A. Connivence et ressemblance. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie.

II.B. Respect et ethnocentrisme. Levi-Strauss, Race et histoire

  II.C. Autrui comme une fin, jamais comme un moyen. Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Lévinas,L'humanisme de l'autre homme.

 

III. On respecte autrui au nom de ce qu'il est.

III.A. Les grands hommes. Hegel, La raison dans l'histoire.

III.B. Un devoir d'exemplarité. Sartre, L'existentialisme est un humanisme.

III.C. Le respect comme sentiment et le respect comme droit. Rousseau, Contrat social, p. 379.

 

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7 janvier 2014 2 07 /01 /janvier /2014 09:24

 

 

LA LIBERTE PEUT-ELLE ETRE UN FARDEAU ?

 

Eléments d’introduction.

 

  • un fardeau : poids, contrainte, qui m’empêche d’avancer, me retarde, ou qui pèse tout simplement lourdement sur mon sort et mes actions. Par ailleurs, puisque c’est un poids, le fardeau est quelque chose dont il est légitime de chercher à se débarrasser.

  • connotation négative du fardeau par opposition à la connotation positive de la liberté. Plus encore, la liberté c’est justement la possibilité de faire ce que je veux donc paraît être opposé au fardeau.

  • la liberté implique ainsi des responsabilités – rendre des comptes de nos actes devant diverses instances : ne peut-elle pas en ce sens être un fardeau.

  • il fallait ne pas oublier « peut » et « être dans l’analyse. Le « peut » peut se comprendre ainsi au sens de « est-il possible (théoriquement, logiquement, mais aussi contrairement dans les faits) que la liberté soit un fardeau ? » (possibilité de fait) mais aussi « est-il légitime de dire que la liberté est un fardeau ? » (possibilité de droit). Quant au verbe être, on peut l’entendre au sens d’être définie comme (la liberté peut-elle être définie comme un fardeau), être vécue (se manifester comme, avoir l’apparence de) et enfin être considérée comme.

  • Est-il possible de définir la liberté comme un fardeau ? Est-il légitime de la considérer comme telle ?

 

I. Liberté et absence de contrainte. (ne peut pas être définie comme un fardeau en elle-même)

 

A. Point de vue logique.

Définition la plus simple et la plus large de la liberté : la liberté, c’est l’absence de contrainte. Par définition le fardeau est une entrave donc une contrainte – par conséquent la liberté ne peut pas être définie comme un fardeau ce serait une contradiction logique, une absurdité. [il s’agit ici de la liberté comme absence de contrainte]. Montesquieu, L'esprit des lois, Hegel, Esthétique, p.25-26 La liberté ne peut pas être un fardeau, elle est au contraire l'absence de contrainte.

 

B. Point de vue historique/politique.

La liberté s’entend d’abord dans une dimension politique. En tant que telle, elle consiste bien à lutter contre les fardeaux, les contraintes que l’on peut subir. Elle est le contraire du fardeau et de l’oppression – comme les prouvent les luttes historiques menées pour la liberté. Arendt – « Qu’est-ce que la liberté ? » (La crise de la culture) [il s’agit ici de la liberté dans le sens politique du terme].  La liberté ne peut pas être un fardeau, elle est au contraire l'inverse de l'oppression, de la soumission.

 

 

C. Point de vue pratique : liberté et animalité.

La liberté bien comprise autonomie est ainsi le contraire de lesclavage et de lanimalité, ce qui fait de nous des hommes à proprement parler. Bergson La pensée et le mouvant, la liberté, comme liberté créatrice, cest bien ne subir absolument aucun déterminisme très exactement le contraire du fardeau en ce que celui-ci est oppressant. [il sagit ici de la liberté définie par opposition au déterminisme]. La liberté ne peut pas être un fardeau, elle est au contraire l'inverse du déterminisme.

 

 

Tr. La liberté, par définition, ne peut pas être un fardeau : ce serait absurde de dire une telle chose car au contraire la liberté est ce qui nous sort de la contrainte, nous sauve de l’esclavage et de l’animalité, nous fait accéder à une véritable humanité. Cependant, ne peut-elle pas avoir des effets négatifs qui font qu’elle est vécue, ressentie concrètement comme un poids lourd à porter même si ce n’est pas ce qu’elle est dans son essence ?

 

II. Les effets négatifs de la liberté. (ressentie comme un fardeau par ses effets)

 

 

  1. Une indétermination à double tranchant.

Puisquelle soppose au déterminisme, la liberté est fondamentalement indétermination, cest-à-dire quelle peut nous porter vers le pire comme vers le meilleur. Rousseau Second Discours. [il sagit ici de la liberté comme libre-arbitre, liberté de choix].

 

  1. Les heurts des libertés.

Ainsi, les effets négatifs qui sont dus au fait que les libertés entre elles peuvent avoir du mal à coexister pacifiquement et donc sannuler lune lautre. Hobbes Leviathan. On peut aussi se référer à la liberté comme liberté dindifférence de Descartes, Méditations métaphysiques, qui conduit à lincapacité de faire un choix (cf. lâne de Buridan) alors que la liberté éclairée est elle supérieure, de meilleure qualitée. [on retrouve ici la liberté comme absence de contrainte].

 

 

C.  Liberté, responsabilité, angoisse

En raison de ces effets négatifs, la liberté saccompagne de responsabilité : puisque la liberté peut savérer néfaste, des règles sont nécessaires ainsi que des instances devant lesquelles rendre des comptes. La liberté totale saccompagne ainsi dune responsabilité totale, qui nest pas sans générer une certaine angoisse. Sartre Lexistentialisme est un humanisme.

 

TR. Ainsi la liberté peut être vécue, ressentie comme un poids – et non plus une contrainte – qui pèse sur nos épaules en permanence : poids de la responsabilité, poids du devoir moral. Est-ce que cela veut dire que nous devons ou pouvons nous en débarrasser ? Avons-nous le droit de considérer la liberté comme un poids dont il faudrait se défaire ?

 

III. Liberté et responsabilité.

 

A.  Une tâche absurde.

Puisque cette liberté est inscrite dans notre nature, participe de notre humanité, il serait de toute façon vain de chercher à nous débarrasser. « Nous sommes condamnés à être libres ». Ce n’est pas un fardeau momentané, qui grève pour quelque temps seulement notre route, c’est notre sort.

 

B.  Le refus de la servitude volontaire.

Puisque cest notre sort, il faut laccepter et nous en accommoder. Le refuser serait commettre une grave faute pour nous. Diderot Lettre à Helvétius. Ce serait remettre en question les « droits sacrés de lhomme ».

 

C.  Le devoir de liberté.

Si la liberté est un fardeau difficile à porter et à assumer, elle ne doit pas lêtre, nous ne devons pas chercher à nous en défaire nous commettrions sinon un véritable crime contre lhumanité. Kant Quest-ce que les Lumières ? Notre devoir moral est de lassumer et de nous en montrer dignes. Cest un devoir qui simpose pour nous mais aussi pour les autres, pour lhumanité dont nous sommes en partie responsables. [nous aboutissons ici à la définition de la liberté comme autonomie morale].

 

 

Eléments de conclusion.

 

La liberté peut de fait être un fardeau source d’angoisse par l’ampleur des responsabilités qui nous incombent. En revanche, elle ne doit pas l’être – car chercher à nous en défaire c’est alors renoncer à toute humanité pour nous et pour les autres.

 

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6 janvier 2014 1 06 /01 /janvier /2014 10:03

 

I. Je respecte autrui en mon nom.

I.A. L'autre : un étranger menaçant. Rousseau, Second discours, Hobbes, Leviathan.

I.B. Le droit comme régulation extérieure. Kant, Doctrine du droit. Kant, Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, p.324. Rousseau, Premier discours.

I.C. Respect et échange. Smith.

 

II. Je dois respecter autrui au nom de son humanité.

II.A. Connivence et ressemblance. Husserl, Idées directrices pour une phénoménologie.

II.B. Respect et ethnocentrisme. Levi-Strauss, Race et histoire

  II.C. Autrui comme une fin, jamais comme un moyen. Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, Lévinas,L'humanisme de l'autre homme.

 

III. On respecte autrui au nom de ce qu'il est.

III.A. Les grands hommes. Hegel, La raison dans l'histoire.

III.B. Un devoir d'exemplarité. Sartre, L'existentialisme est un humanisme.

III.C. Le respect comme sentiment et le respect comme droit. Rousseau, Contrat social, p. 379.

 

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5 décembre 2013 4 05 /12 /décembre /2013 21:41

 

LE BONHEUR / LE DESIR

 

 

« - Socrate : Rien de compliqué ; j’entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et commander en soi aux plaisirs et aux passions.

- Calliclès : Que tu est plaisant ! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.

- S. : Comment cela ! qui ne voit que ce n’est pas d’eux que je parle ?

- C. : C’est deux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait-il être heureux, s’il est esclave de quelqu’un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent.

         Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient-ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance (… ?). La vérité, que tu prétends chercher Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.

- S. : (…) Considère si tu ne pourrais assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grand ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est-ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? »

 

Platon – Gorgias

 

« (…) attaquer les passions à la racine, c’est attaquer la vie à la racine : la pratique de l’Eglise est hostile à la vie…

Le même moyen, couper, arracher, est instinctivement choisi, dans la lutte contre un désir, par ceux qui sont trop faibles de volonté, trop dégénérés pour garder la mesure dans la satisfaction de ce désir : par ces natures qui ont besoin de la trappe, au sens figuré (et au sens propre…), d’une déclaration de guerre à outrance, de mettre un abîme entre eux et une passion. Il faut être dégénéré pour avoir recours aux solutions radicales ; la faiblesse de la volonté, plus exactement l’incapacité à s’empêcher de réagir à une sollicitation, n’est elle-même qu’une forme de dégénérescence. L’hostilité radicale, à mort, envers la sensualité est un symptôme qui laisse songeur : il justifie qu’on s’interroge sur l’état général d’un être porté à ce point à l’excès. »

 

Nietzsche – Crépuscule des idoles ( §1 et 2)

 

 

« C’est un fait indiscutable que ceux qui connaissent également deux manières de vivre et qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir donnent une préférence marquée pour celle qui emploie leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines consentiraient à être transformées en l’un des animaux les plus vils parce qu’on leur promettrait de leur allouer les plaisirs des bêtes ; aucun être humain intelligent ne consentirait à devenir imbécile, aucune personne instruite à devenir ignorante, aucune personne de cœur ou de conscience à devenir égoïste et vile, même s’ils étaient convaincus que l’imbécile, l’ignorant et le vaurien sont plus satisfaits de leur lot qu’eux du leur. Ils ne voudraient pas renoncer pas à ce qu’ils possèdent de plus qu’eux pour la plus complète satisfaction de tous les désirs qu’ils ont en commun avec eux. Si jamais ils imaginent qu’ils le voudraient, c’est seulement dans les situations de malheur si extrêmes que, pour y échapper, ils échangeraient leur lot contre n’importe lequel, même s’il leur paraît indésirable. Un être qui a des capacités supérieures exige plus qu’un être d’un type inférieur pour être heureux, il est probablement capable de souffrir de façon plus aiguë et il est certainement vulnérable sur plus de points. Mais, en dépit de ce handicap, jamais il ne saurait réellement souhaiter tomber dans ce qu’il sent être un degré plus bas d’existence. Nous pouvons bien donner à cette réticence l’explication que nous voulons ; nous pouvons l’attribuer à l’orgueil, nom qui est donné sans distinction à certains des plus estimables sentiments – et des moins estimables – dont l’humanité est capable ; nous pouvons la ramener à l’amour de la liberté et de l’indépendance personnelle auquel les stoïciens faisaient appel comme à l’un des moyens les plus efficaces pour inculquer cette réticence ; à l’amour du pouvoir ou des sensations fortes (excitement) qui entrent tous les deux pour une part dans cette réticence ou y contribuent. Mais l’appellation la plus appropriée, c’est le sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent sous une forme ou sous une autre et que certains possèdent – mais le rapport n’est pas toujours rigoureux – à proportion de leurs facultés supérieures, sens qui est une part si essentielle du bonheur chez ceux chez qui il est intense que rien de ce qui s’y oppose ne pourrait autrement que de façon momentanée  être pour eux un objet de désir. Quiconque suppose que cette préférence est un sacrifice du bonheur, que l’être supérieur, dans des circonstances identiques, n’est pas plus heureux que l’être inférieur, confond deux idées très différentes, l’idée de bonheur (happiness) et l’idée de satisfaction (content). Indiscutablement, l’être dont les capacités de jouissance sont d’un niveau inférieur a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites tandis qu’un être supérieurement doué sentira toujours que le bonheur qu’il recherche, vu la façon dont le monde est constitué, est imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ces imperfections, pour peu qu’elles soient supportables et il ne sera pas jaloux d’un être qui, à vrai dire, est inconscient des imperfections parce qu’il ne sent pas tout le bien qu’elles donnent. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait, il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et, si l’imbécile et le porc sont d’opinions différentes, c’est seulement parce qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question. L’autre partie, pour la comparaison, connaît les deux côtés. »

 

John Stuart Mill – L’utilitarisme

 

 

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l’arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, laprotestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.

C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

 

Marx – Critique du droit politique hégélien

 

 

« Le gouvernement arbitraire d'un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la plus dangeureuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à aimer, à respecter, à servir son successeur, quel qu'il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s'opposer même à sa volonté, lorsqu'il ordonne le bien ; cependant ce droit d'opposition, tout insensé qu'il est, est sacré: sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu'on le conduit dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des forfaits. Qu'est-ce qui caractérise le despote ? Est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement. Ces deux notions n'entrent seulement pas dans sa définition. C'est l'étendue et non l'usage de l'autorité qu'il s'arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois règnes d'une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits par le bonheur à l'oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. »

 

Diderot – Lettre à Helvétius

 

 

« Entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. – Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l’un et de l’autre, descend à son minimum ; et c’est là la plus heureuse vie. Car il est bien d’autres moments, qu’on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu’on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c’est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d’eux, en somme, des solitaires au milieu d’une foule toute différente d’eux ; ainsi se rétablit l’équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse ; ils sont réduits au simple vouloir. »

 

Schopenhauer – Le monde comme volonté et comme représentation

 

 

« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et plus généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains, étant malades, ou d’être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. »

 

Descartes – Discours de la méthode (III).

 

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5 décembre 2013 4 05 /12 /décembre /2013 21:40

Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.

 

"J’ai un mot à dire à ceux qui méprisent le corps. Je ne leur demande pas de changer d’avis ni de doctrine, mais de se défaire de leur propre corps – ce qui les rendra muets.

         « Je suis corps et âme » - ainsi parle l’enfant. Et pourquoi ne parlerait-on pas comme les enfants ?

         Mais l’homme éveillé à la conscience et à la connaissance dit : « Je suis tout entier corps, et rien d’autre ; l’âme est un mot qui désigne une partie du corps. »

         Le corps est une grande raison, une multitude unanime, un état de paix et de guerre, un troupeau et son berger.

         Cette petite raison que tu appelles ton esprit, ô mon frère, n’est qu’un instrument de ton corps, et un bien petit instrument, un jouet de ta grande raison.

         Tu dis « moi », et tu es fier de ce mot. Mais il y a quelque chose de grand, à quoi tu refuses de croire, c’est ton corps et sa grande raison ; il ne dit pas moi, mais il agit en Moi.

         Ce que pressent l’intelligence, ce que reconnaît l’esprit n’a jamais sa fin en soi. Mais l’intelligence et l’esprit voudraient te convaincre qu’ils sont la fin de toute chose ; telle est leur fatuité.

Intelligence et esprit ne sont qu’instruments et jouets ; le Soi se situe au-delà. Le Soi s’informe aussi par les yeux des sens, il écoute aussi par les oreilles de l’esprit.

         Le Soi est sans cesse à l’affût, aux aguets ; il compare, il soumet, il conquiert, il détruit. Il règne, il est aussi le maître du Moi. 

Par-delà tes pensées et tes sentiments, mon frère, il y a un maître puissant, un sage inconnu, qui s’appelle le Soi. Il habite ton corps, il est ton corps.

Il y a plus de raison dans ton corps que dans l’essence même de ta sagesse. Et qui sait pourquoi ton corps a besoin de l’essence de ta sagesse ?

Ton Soi rit de ton Moi et de ses bonds prétentieux. « Que m’importent ces bonds et ces envols de la pensée ? se dit-il. Ils me détournent de mon but. Car je tiens le Moi en lisière et je lui souffle ses pensées. »

Le Soi dit au Moi : « Souffre à présent. » Et le Moi souffre et se demande comment faire pour ne plus souffrir – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.

Le Soi dit au Moi : « Jouis à présent. » Et le Moi ressent de la joie et se demande comment faire pour goûter souvent encore la joie – c’est à cette fin que doit lui servir la pensée.

         Je veux dire leur fait à ceux qui méprisent le corps. Leur mépris est la substance de leur respect. Qu’est-ce donc qui a créé estime et mépris, valeur et volonté ?

         Le Soi créateur a créé à son usage le respect et le mépris, il a créé à son usage la joie et la peine. Le corps créateur a formé l’esprit à son usage pour être la main de son vouloir.

         Jusque dans votre folie et dans votre mépris, contempteurs du corps, vous servez votre Soi. Je vous le dis, c’est votre Soi qui veut mourir et se détourne de la vie.

         Il ne peut plus faire ce qu’il aime par-dessus tout : créer ce qui le dépasse ; c’est là l’objet de son désir suprême, de toute sa ferveur.

         Mais à présent il est trop tard – aussi votre Soi veut-il mourir, ô contempteurs du corps.

         Votre Soi veut périr, et pour cette raison vous êtes devenus les contempteurs du corps. Car vous n’êtes plus aptes à créer ce qui vous dépasse.

         Et c’est pourquoi vous vous irritez contre la vie et la terre. Il y a une jalousie inconsciente dans le regard louche de votre mépris.

         Je ne suivrai pas vos voies, contempteurs du corps. Vous n’êtes pas les ponts qui mènent au Surhumain.

         Ainsi parlait Zarathoustra."

 

Marx/Engels – L'idéologie allemande (1845-1846)

« A l'encontre de la philosophie allemande qui descend du ciel sur la terre, c'est de la terre au ciel que l'on monte ici. Autrement dit, on ne part pas de ce que les hommes disent, s'imaginent, se représentent, ni non plus de ce qu'ils sont dans les paroles, la pensée, l'imagination et la représentation d'autrui, pour aboutir ensuite aux hommes en chair et en os ; non, on part des hommes dans leur activité réelle ; c'est à partir de leur processus de vie réel que l'on représente aussi le développement des reflets et des échos idéologiques de ce processus vital. Et même, les fantasmagories dans le cerveau humain sont des sublimations résultant nécessairement du processus de leur vie matérielle que l'on peut constater empiriquement et qui repose sur des bases matérielles. De ce fait, la morale, la religion, la métaphysique et tout le reste de l'idéologie, ainsi que les formes de conscience qui leur correspondent, perdent aussitôt toute apparence d'autonomie. Elles n'ont pas d'histoire, elles n'ont pas de développement ; ce sont au contraire les hommes qui, en développant leur production matérielle et leurs rapports matériels, transforment, avec cette réalité qui leur est propre, et leur pensée et les produits de leur pensée. Ce n'est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. Dans la première façon de considérer les choses, on part de la conscience comme étant l'individu vivant, dans la seconde façon, qui correspond à la vie réelle, on part des individus réels et vivants eux-mêmes et l'on considère la conscience uniquement comme leur conscience. »

 

Freud.

 

1.       « La psychanalyse se refuse à considérer la conscience comme formant l’essence même de la vie psychique, mais voit dans la conscience une simple qualité de celle-ci. » (Essais de Psychanalyse.)

 

 2.      « l’un des buts de la psychanalyse est de parvenir à soulever le voile d’amnésie qui recouvre les premières années de l’enfance,n de rappeler au souvenir conscient les manifestations de la vie sexuelle de la première enfance. » (Nouvelles conférences sur la psychanalyse)

 

 3.      « Nous admettons que la vie psychique est la fonction d’un appareil auquel nous attribuons une étendue spatiale et que nous supposons formé de plusieurs parties. » (Abrégé de Psychanalyse)

 

 4.      « Nous ne voulons pas seulement décrire et classer les phénomènes ; nous voulons aussi les concevoir comme étant des indices d’un jeu de forces s’accomplissant dans l’âme, comme la manifestation de tendances ayant un but défini et travaillant soit dans la même direction, soit dans des directions opposées. » (Introduction à la psychanalyse).

 

 5.      « Nous ne demandons pas au patient de dire ce qu’il sait, ce qu’il dissimule à autrui, mais aussi ce qu’il ne sait pas […]. Le patient est obligé de nous révéler non seulement ce qu’il raconte intentionnellement et de bon gré, ce qui le soulage comme une confession, mais encore […] tout ce qui lui vient à l’esprit même si cela lui est désagréable à dire, même si cela lui semble inutile, voire saugrenu. » (Abrégé de Psychanalyse).

 

 6.      « Le travail analytique nécessaire pour expliquer et supprimer une maladie ne s’arrête jamais aux événements de l’époque où elle se produisit, mais remonte toujours jusqu’à la puberté et à la première enfance du malade ; là, elle rencontre les évènements et les impressions qui ont déterminé la maladie ultérieure. Ce n’est que si l’on découvre ces évènements de l’enfance que l’on peut expliquer la sensibilité à l’égard des traumas postérieurs, et c’est en rendant conscients ces souvenirs généralement oubliés que nous acquérons le pouvoir de supprimer les symptômes. Nous arrivons ici aux mêmes résultats que dans l’étude des rêves, à savoir que ce sont les désirs inéluctables et refoulés de l’enfance qui ont prêté leur puissance à la formation des symptômes sans lesquels la réaction aux traumas postérieurs aurait pris un cours normal. Ces puissants désirs de l’enfant, je les considère, d’une manière générale, comme sexuels. » (Cinq leçons de psychanalyse).

 

 

Henri Bergson – Le Rire

 

« Le mot, qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous, et en masquerait la forme à nos yeux si cette forme ne se dissimulait déjà derrière les besoins qui ont créé le mot lui-même. Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âmes qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui-même qui arrive à notre conscience avec les mille nuances fugitives et les milles résonances profondes qui en font quelque chose d’absolument nôtre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes parce qu’il est à peu près le même, dans les mêmes conditions, pour tous les hommes. Ainsi, jusque dans notre propre individu, l’individualité nous échappe. » 

 

Merleau-Ponty – Phénoménologie de la perception.

 

 

« Je perçois autrui comme comportement, par exemple, je perçois le deuil ou la colère d’autrui dans sa conduite, sur son visage et sur ses mains, sans aucun emprunt à une expérience « interne » de la souffrance ou de la colère et parce que deuil et colère sont des variations de l’être au monde, indivises entre le corps et la conscience, et qui se posent aussi bien sur la conduite d’autrui, visible dans son corps phénoménal, que sur ma propre conduite telle qu’elle s’offre à moi. Mais enfin, le comportement d’autrui et même les paroles d’autrui ne sont pas autrui. Le deuil d’autrui et sa colère n’ont jamais exactement le même sens pour lui et pour moi. Pour lui, ce sont des situations vécues, pour moi ce sont des situations apprésentées. Ou si je peux, par un mouvement d’amitié, participer à ce deuil et à cette colère, ils restent le deuil et la colère de mon ami Paul : Paul souffre parce qu’il a perdu sa femme ou il est en colère parce qu’on lui a volé sa montre, je souffre parce que Paul a de la peine, je suis en colère parce qu’il est en colère, les situations ne sont pas superposables. Et si enfin nous faisons quelque projet en commun, ce projet n’est pas un seul projet, et il ne s’offre pas sous les mêmes aspects pour moi et pour Paul, nous n’y tenons pas autant l’un que l’autre, ni en tous cas de la même façon, du seul fait que Paul est Paul et que je suis moi. Nos consciences ont beau, à travers nos situations propres, construire une situation commune dans laquelle elles communiquent, c’est du fond de sa subjectivité que chacun projette ce monde « unique ».

 

Sartre – L’être et le néant

 

«  J’ai honte de ce que je suis. La honte réalise donc une relation intime de moi avec moi : j’ai découvert un autre aspect de mon être. Et pourtant, bien que certaines formes complexes et dérivées de la honte puissent apparaître sur le plan réflexif, la honte n’est pas originellement un phénomène de réflexion. En effet, quels que soient les résultats que l’on puisse obtenir dans la solitude par la pratique religieuse de la honte, la honte dans sa structure première est honte devant quelqu’un. Je viens de faire un geste maladroit ou vulgaire : ce geste colle à moi, je ne le juge ni ne le blâme, je le vis simplement, je le réalise sur le mode du pour-soi. Mais voici tout à coup que je lève la tête : quelqu’un était là et m’a vu. Je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j’ai honte. Il est certain que ma honte n’est pas réflexive, car la présence d’autrui à ma conscience, fût-ce à la manière d’un catalyseur, est incompatible avec l’attitude réflexive : dans le champ de ma réflexion je ne puis jamais rencontrer que la conscience qui est mienne. Or autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même : j’ai honte tel que j’apparais à autrui. Et, par l’apparition même d’autrui, je suis mis en mesure de porter un jugement sur moi-même comme sur un objet, car c’est comme objet que j’apparais à autrui. Mais pourtant cet objet apparu à autrui, ce n’est pas une vaine image dans l’esprit d’un autre. Cette image en effet serait entièrement imputable à autrui et ne saurait me « toucher ». Je pourrais ressentir de l’agacement, de la colère en face d’elle, comme devant un mauvais portrait de moi, qui me prête une laideur ou une bassesse d’expression que je n’ai pas ; mais je ne saurais être atteint jusqu’aux moelles : la honte est, par nature, reconnaissance. Je reconnais que je suis comme autrui me voit. Il ne s’agit cependant pas de la comparaison de ce que je suis pour moi à ce que je suis pour autrui, comme si je trouvais en moi, sur le mode d’être du pour-soi, un équivalent de ce que je suis pour autrui. D’abord cette comparaison ne se rencontre pas en nous, à titre d’opération psychique concrète : la honte est un frisson immédiat qui me parcourt de la tête aux pieds sans aucune préparation discursive. Ensuite, cette comparaison est impossible : je ne puis mettre en rapport ce que je suis dans l’intimité sans distance, sans recul, sans perspective du pour-soi avec cet être injustifiable et en-soi que je suis pour autrui. Il n’y a ici ni étalon, ni table de correspondance. La notion même de vulgarité implique d’ailleurs une relation intermonadique. On n’est pas vulgaire tout seul. Ainsi autrui ne m’a pas seulement révélé ce que j’étais : il m’a constitué sur un type d’être nouveau qui doit supporter des qualifications nouvelles. »

 

 

Texte dit par Jean-Paul Sartre en préambule à l'enregistrement phonographique de la pièce en 1965.

 

 

« Quand on écrit une pièce, il y a toujours des causes occasionnelles et des soucis profonds. La cause occasionnelle c'est que, au moment où j'ai écrit Huis Clos, vers 1943 et début 44, j'avais trois amis et je voulais qu'ils jouent une pièce, une pièce de moi, sans avantager aucun d'eux. C'est à dire , je voulais qu'ils restent ensemble tout le temps sur la scène. Parce que je me disais , s'il y en a un qui s'en va, il pensera que les autres ont un meilleur rôle au moment où il s'en va. Je voulais donc les garder ensemble. Et je me suis dit, comment peut-on mettre ensemble trois personnes sans jamais faire sortir l'une d'elles et les garder sur la scène jusqu'au bout comme pour l'éternité.C'est là que m'est venue l'idée de les mettre en enfer et de les faire chacun le bourreau des deux autres. Telle est la cause occasionnelle. Par la suite d'ailleurs, je dois dire , ces trois amis n'ont pas joué la pièce et , comme vous le savez c'est Vitold, Tania Balachova et Gaby Sylvia qui l'ont jouée. Mais il y avait à ce moment-là des soucis plus généraux et j'ai voulu exprimer autre chose dans la pièce que simplement ce que l'occasion me donnait. J'ai voulu dire : l'enfer , c'est les autres. Mais "l'enfer, c'est les autres" a toujours été mal compris. On a cru que je voulais dire par là que nos rapports avec les autres étaient toujours empoisonnés, que c'étaient toujours des rapports infernaux. Or, c'est autre chose que je veux dire. Je veux dire que si les rapports avec autrui sont tordus, viciés, alors l'autre ne peut-être que l'enfer. Pourquoi ? Parce que les autres sont au fond ce qu'il y a de plus important en nous-mêmes pour notre propre connaissance de nous-mêmes. Quand nous pensons sur nous, quand nous essayons de nous connaître, au fond nous usons ses connaissances que les autres ont déjà sur nous. Nous nous jugeons avec les moyens que les autres ont, nous ont donné de nous juger. Quoique je dise sur moi, toujours le jugement d'autrui entre dedans. Ce qui veut dire que, si mes rapports sont mauvais, je me mets dans la totale dépendance d'autrui. Et alors en effet je suis en enfer. Et il existe une quantité de gens dans le monde qui sont en enfer parce qu'ils dépendent trop du jugement d'autrui. Mais cela ne veut nullement dire qu'on ne puisse avoir d'autres rapports avec les autres. Ça marque simplement l'importance capitale de tous les autres pour chacun de nous. 

 

 

« Il est totalement erroné de supposer que l’objectivité de la science dépend de l’objectivité de l’homme de science. Et il est totalement erroné de croire que celui qui pratique les sciences de la nature serait plus objectif que celui qui pratique les sciences sociales. Celui qui pratique les sciences de la nature est tout aussi partial que les autres et (…) il est malheureusement courant qu’il soit d’une partialité extrême pour les idées qu’il défend. Certains des physiciens contemporains les plus éminents ont même fondé des écoles qui opposent une résistance acharnée aux idées nouvelles (…).

Ce qu’on peut appeler objectivité scientifique repose uniquement et exclusivement sur la tradition critique qui, en dépit des résistances, rend souvent possible la critique d’un dogme qui prévaut. Autrement dit, l’objectivité de la science n’est pas une question d’individu, intéressant les hommes de science pris à part, mais une question sociale qui résulte de leur critique mutuelle, de la division du travail amicale-hostile entre scientifiques, de leur collaboration autant que de leur rivalité. Elle dépend donc partiellement d’une série de conditions sociales et politiques qui rendent cette critique possible. » Karl Popper – La logique des sciences sociales.

 

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3 décembre 2013 2 03 /12 /décembre /2013 14:30

 

Suis-je le mieux placé pour savoir qui je suis. Corrigé.

 

I. Je suis le mieux placé pour savoir qui je suis car je suis le plus proche de moi.

 

I.A Moi seul me connais depuis toujours. Or, mon identité, qui je suis est le résultat de mon histoire. Bergson, La cosncience et la vie.

I.B C'est parce que moi seul ai vécu mon histoire. La mémoire que je porte est une mémoire vécue et pas seulement une quantité de souvenirs. Personne d'autre que moi ne peut être à ma place et expérimenter le monde comme je le fais. Or mon identité réside dans cette manière très particulière d'expérimenter le monde qui est la mienne. Merleau-Ponty Phénoménologie de la perception.

I.C Donc, je suis le seul à savoir qui je suis, moi, car je suis le seul a avoir une conscience immédiate de moi qui est savoir, certitude que je suis moi, que je l'ai toujours été, qui fait que je suis et reste moi. La conscience de soi est le lieu de l'identité personnelle et moi seul ai une telle conscience de moi. Locke, Essai sur l'entendement humain.

 

Transition : Mais ne suis-je pas trop subjectif, justement parce que je suis trop proche?

 

II. Je ne suis pas le mieux placé pour savoir qui je suis car je suis trop proche de moi.

 

II.A. Je n'ai pas le recul nécessaire à l'objectivité car je suis trop proche de moi. La conscience de soi essaie de reproduire le regard que l'autre a sur moi car lui seul me voit comme un objet, spontanément la conscience que j'ai de moi n'est pas réflexive. Je suis le moins bien placé car je suis le seul à ne pas me voir comme un objet. Sartre,L'être et le néant.

 

II.B. En effet, ce sont mes actes qui me définissent : je suis ce que je fais et non ce que je pense ou veut être. Mon identité se constitue progressivement au fur et à mesure de ce que je fais dans mon histoire. Sartre, L'existentialisme est un humanisme.

 

II.C. Pour autant, cela signifie-t-il que n'importe quel inconnu peut me connaître? Ne faut-il pas aussi une certaine compétence technique et scientifique pour produire une connaissance de moi comme sujet? En effet l'identité est un objet complexe, difficilement accessible, avec ses zones d'ombre, et est un mélange de l'intérieur et de l'extérieur. Cf. Freud, Cinq leçons de psychanalyse.

 

Transition : Mais, le point de vue des autres, même étant objectif, ne risque-t-il pas d'être trop partiel? L'identité n'est-elle pas quelque chose de trop complexe pour être connu par qui que ce soit?

 

III. Je reste le mieux placé car je vais faire la synthèse de tous les points de vue.

 

III.A. Il y a des données auxquelles ni moi, ni les autres. Le langage, outil de la communication et de la connaissance, nous coupe de notre intimité la plus profonde. Bergson, Le rire.

 

III.B. Parce que l'idée même d'identité est illusoire : le moi n'existe pas, c'est une idée creuse. Seuls existent les états que je traverse. Hume, Traité de la nature humaine.

 

III.C. Mais je peux viser une connaissance, la meilleure possible, qui va compenser les défauts propres à chaque point de vue en faisant la synthèse de tous les points de vue me concernant. Je reste le mieux placé car je suis le plus à même de faire cette synthèse, il y a des informations sur moi que moi seul ai. Popper, La logique des sciences sociales.

 

 

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28 novembre 2013 4 28 /11 /novembre /2013 12:08

 

Le désir peut-il satisfaire de la réalité ?

 

Eléments de problématisation.

 

Pour les remarques générales, voir ce qui a été dit en cours. D’une manière générale, il faut une approche analytique. La question est de savoir s’il est possible pour le désir de trouver satisfaction dans la réalité ou, c’est l’alternative, s’il est voué à être systématiquement insatisfait. Il faut donc se poser la question de ce qu’est la désir, ce qui le constitue, ce qui en est le moteur, pour répondre au sujet.

Pour le verbe « pouvoir », veillez toujours à distinguer la capacité de fait et la possibilité de droit. Ici, on pourra se demander si le désir est capable de trouver dans la réalité satisfaction (de fait), mais aussi s’il est légitime de s’en tenir à ce que la réalité nous fournit (de droit).

On a donc deux pistes : oui – comment pourrais-je ne pas être satisfait lorsque j’obtiens ce que je désirais et qui me manquait ? Mais, le désir ne rejaillit-il pas toujours ? Ne se porte-t-il pas sur autre chose ? On peut satisfaire un désir, cela suffit-il à dire que le désir en général peut être satisfait ? Alors sommes-nous condamnés à être d’éternels insatisfaits ?

 

Proposition de plan.

 

I. Oui, il est possible de trouver ponctuellement un objet qui satisfasse nos désirs.

 

  1. Cest le débouché naturel du désir qui produit laction, cest-à-dire la confrontation avec la réalité. Le désir me pousse vers la réalité je vais chercher ma satisfaction, qui est donc possible dans cette réalité. (on dit dailleurs, réaliser ses désirs). Référence possible : Hegel, Esthétique. Sartre, L'existentialisme est un humanisme.

  2. Il est donc possible que le désir se satisfasse de la réalité, mais cest une question de pouvoir. Le désir peut se satisfaire de la réalité si jai la force nécessaire pour arracher à la réalité ce qui va me procurer satisfaction. Référence possible : Platon, Gorgias.

  3. Il est possible de satisfaire des désirs ponctuels, mais ce ne sera jamais une satisfaction comme satiété : je peux satisfaire un désir, mais puis-je satisfaire le désir ? Référence possible : Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs.

 

Transition : donc le désir peut être ponctuellement satisfait par un objet réel. Mais cela procure-t-il satisfaction au désir en général ? Au contraire, celui-ci nest-il pas voué à rester éternellement insatisfait ?

 

II. Non, il est impossible de mettre fin au désir par la réalité.

 

  1. Le désir est structurellement opposé à la réalité. Le désir ne tient pas compte du possible ou de limpossible, au contraire, le réel se restreint au possible. Référence possible : Freud, Abrégé de psychanalyse. ou

    La cause en est limagination. Comme lobjet que je désire, par définition, nest pas là, je limagine. Il se crée un écart entre la chose imaginée et la chose réelle, et la confrontation avec la réalité produit nécessairement une déception. Référence possible : Rousseau, La Nouvelle Héloïse, p.80.

  2. Donc, il est voué à ne jamais être satisfait. Il est insatiable et se porte toujours sur un autre objet. Référence possible : Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, p.80.

  3. Car le désir est l'essence de l'homme. Il est donc insatiable: on ne peut et on ne doit pas y mettre fin.  Spinoza, Ethique. p.77

 

Transition : devons-nous alors renoncer à maîtriser nos désirs ? Cela signifie-t-il que nous sommes condamnés à en être les esclaves ? Ne pouvons-nous pas trouver un moyen de concilier désirs et réalité ?

 

III. Il est possible de concilier désir et réalité.

 

  1. En tant quêtre libre et raisonnable, lhomme est capable de soumettre ses désirs, il est capable de sassurer quils sont conciliables avec la réalité pour éviter dêtre déçu. Référence possible : Descartes, Discours de la méthode.

  2. Il est donc possible de déboucher sur une gestion raisonnée des désirs car la réalité peut être connue, elle fait lobjet dun savoir qui détermine notre gestion des désirs. Référence possible : Epicure, Lettre à Ménécée, p.73.

  3. Mais ne peut-on pas inverser les choses ? Le désir ne peut-il pas forcer la réalité à le satisfaire ? Se satisfaire de la réalité, cest se contenter de ce qui est. Or, ne devons-nous pas, au contraire, ne pas nous contenter de ce qui est, vouloir plus et forcer ainsi la réalité à nous satisfaire, à répondre à nos désirs ? Nest-ce pas la condition de lhistoire, de la culture. Référence possible : Hegel, Esthétique, p.26.

 

« Je pose en principe un fait peu contestable: que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme. » Georges Bataille, L'érotisme.

 

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7 novembre 2013 4 07 /11 /novembre /2013 10:20

 

LE BONHEUR / LE DESIR

 

 

« - Socrate : Rien de compliqué ; j’entends, comme le vulgaire, être tempérant et maître de soi et commander en soi aux plaisirs et aux passions.

- Calliclès : Que tu est plaisant ! Ce sont les imbéciles que tu appelles tempérants.

- S. : Comment cela ! qui ne voit que ce n’est pas d’eux que je parle ?

- C. : C’est deux très certainement, Socrate. Comment en effet un homme pourrait-il être heureux, s’il est esclave de quelqu’un. Mais voici ce qui est beau et juste suivant la nature, je te le dis en toute franchise, c’est que, pour bien vivre, il faut laisser prendre à ses passions tout l’accroissement possible, au lieu de les réprimer, et, quand elles ont atteint toute leur force, être capable de leur donner satisfaction par son courage et son intelligence et de remplir tous ses désirs à mesure qu’ils éclosent.

         Mais cela n’est pas, je suppose, à la portée du vulgaire. De là vient qu’il décrie les gens qui en sont capables, parce qu’il a honte de lui-même et veut cacher sa propre impuissance. Il dit que l’intempérance est une chose laide, essayant par là d’asservir ceux qui sont mieux doués par la nature, et, ne pouvant lui-même fournir à ses passions de quoi les contenter, il fait l’éloge de la tempérance et de la justice à cause de sa propre lâcheté. Car pour ceux qui ont eu la chance de naître fils de roi, ou que la nature a faits capables de conquérir un commandement, une tyrannie, une souveraineté, peut-il y avoir véritablement quelque chose de plus honteux et de plus funeste que la tempérance ? Tandis qu’il leur est loisible de jouir des biens de la vie sans que personne les en empêche, ils s’imposeraient eux-mêmes pour maîtres la loi, les propos, les censures de la foule ! Et comment ne seraient-ils pas malheureux du fait de cette prétendue beauté de la justice et de la tempérance (… ?). La vérité, que tu prétends chercher Socrate, la voici : le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant.

- S. : (…) Considère si tu ne pourrais assimiler chacune de ces deux vies, la tempérante et l’incontinente, au cas de deux hommes dont chacun posséderait de nombreux tonneaux, l’un des tonneaux en bon état et remplis, celui-ci de vin, celui-là de miel, un troisième de lait et beaucoup d’autres remplis d’autres liqueurs, toutes rares et coûteuses et acquises au prix de mille peines et de difficultés ; mais une fois ses tonneaux remplis, notre homme n’y verserait plus rien, ne s’en inquiéterait plus et serait tranquille à cet égard. L’autre aurait, comme le premier, des liqueurs qu’il pourrait se procurer, quoique avec peine, mais n’ayant que des tonneaux percés et fêlés, il serait forcé de les remplir jour et nuit sans relâche, sous peine des plus grand ennuis. Si tu admets que les deux vies sont pareilles au cas de ces deux hommes, est-ce que tu soutiendras que la vie de l’homme déréglé est plus heureuse que celle de l’homme réglé ? Mon allégorie t’amène-t-elle à reconnaître que la vie réglée vaut mieux que la vie déréglée, ou n’es-tu pas convaincu ? »

 

Platon – Gorgias

 

« (…) attaquer les passions à la racine, c’est attaquer la vie à la racine : la pratique de l’Eglise est hostile à la vie…

Le même moyen, couper, arracher, est instinctivement choisi, dans la lutte contre un désir, par ceux qui sont trop faibles de volonté, trop dégénérés pour garder la mesure dans la satisfaction de ce désir : par ces natures qui ont besoin de la trappe, au sens figuré (et au sens propre…), d’une déclaration de guerre à outrance, de mettre un abîme entre eux et une passion. Il faut être dégénéré pour avoir recours aux solutions radicales ; la faiblesse de la volonté, plus exactement l’incapacité à s’empêcher de réagir à une sollicitation, n’est elle-même qu’une forme de dégénérescence. L’hostilité radicale, à mort, envers la sensualité est un symptôme qui laisse songeur : il justifie qu’on s’interroge sur l’état général d’un être porté à ce point à l’excès. »

 

Nietzsche – Crépuscule des idoles ( §1 et 2)

 

 

« C’est un fait indiscutable que ceux qui connaissent également deux manières de vivre et qui sont également capables de les apprécier et d’en jouir donnent une préférence marquée pour celle qui emploie leurs facultés supérieures. Peu de créatures humaines consentiraient à être transformées en l’un des animaux les plus vils parce qu’on leur promettrait de leur allouer les plaisirs des bêtes ; aucun être humain intelligent ne consentirait à devenir imbécile, aucune personne instruite à devenir ignorante, aucune personne de cœur ou de conscience à devenir égoïste et vile, même s’ils étaient convaincus que l’imbécile, l’ignorant et le vaurien sont plus satisfaits de leur lot qu’eux du leur. Ils ne voudraient pas renoncer pas à ce qu’ils possèdent de plus qu’eux pour la plus complète satisfaction de tous les désirs qu’ils ont en commun avec eux. Si jamais ils imaginent qu’ils le voudraient, c’est seulement dans les situations de malheur si extrêmes que, pour y échapper, ils échangeraient leur lot contre n’importe lequel, même s’il leur paraît indésirable. Un être qui a des capacités supérieures exige plus qu’un être d’un type inférieur pour être heureux, il est probablement capable de souffrir de façon plus aiguë et il est certainement vulnérable sur plus de points. Mais, en dépit de ce handicap, jamais il ne saurait réellement souhaiter tomber dans ce qu’il sent être un degré plus bas d’existence. Nous pouvons bien donner à cette réticence l’explication que nous voulons ; nous pouvons l’attribuer à l’orgueil, nom qui est donné sans distinction à certains des plus estimables sentiments – et des moins estimables – dont l’humanité est capable ; nous pouvons la ramener à l’amour de la liberté et de l’indépendance personnelle auquel les stoïciens faisaient appel comme à l’un des moyens les plus efficaces pour inculquer cette réticence ; à l’amour du pouvoir ou des sensations fortes (excitement) qui entrent tous les deux pour une part dans cette réticence ou y contribuent. Mais l’appellation la plus appropriée, c’est le sens de la dignité que tous les êtres humains possèdent sous une forme ou sous une autre et que certains possèdent – mais le rapport n’est pas toujours rigoureux – à proportion de leurs facultés supérieures, sens qui est une part si essentielle du bonheur chez ceux chez qui il est intense que rien de ce qui s’y oppose ne pourrait autrement que de façon momentanée  être pour eux un objet de désir. Quiconque suppose que cette préférence est un sacrifice du bonheur, que l’être supérieur, dans des circonstances identiques, n’est pas plus heureux que l’être inférieur, confond deux idées très différentes, l’idée de bonheur (happiness) et l’idée de satisfaction (content). Indiscutablement, l’être dont les capacités de jouissance sont d’un niveau inférieur a les plus grandes chances de les voir pleinement satisfaites tandis qu’un être supérieurement doué sentira toujours que le bonheur qu’il recherche, vu la façon dont le monde est constitué, est imparfait. Mais il peut apprendre à supporter ces imperfections, pour peu qu’elles soient supportables et il ne sera pas jaloux d’un être qui, à vrai dire, est inconscient des imperfections parce qu’il ne sent pas tout le bien qu’elles donnent. Il vaut mieux être un homme insatisfait qu’un porc satisfait, il vaut mieux être Socrate insatisfait qu’un imbécile satisfait. Et, si l’imbécile et le porc sont d’opinions différentes, c’est seulement parce qu’ils ne connaissent qu’un côté de la question. L’autre partie, pour la comparaison, connaît les deux côtés. »

 

John Stuart Mill – L’utilitarisme

 

 

« Le fondement de la critique irréligieuse est : c’est l’homme qui fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme. C’est-à-dire que la religion est la conscience de soi et le sentiment de soi qu’a l’homme qui ne s’est pas encore atteint lui-même, ou bien s’est déjà reperdu. Mais l’homme, ce n’est pas une essence abstraite blottie quelque part hors du monde. L’homme, c’est le monde de l’homme, l’Etat, la société. Cet Etat, cette société produisent la religion, conscience inversée du monde, parce qu’ils sont eux-mêmes un monde à l’envers. La religion est la théorie universelle de ce monde, sa somme encyclopédique, sa logique sous forme populaire, son point d’honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, le fondement universel de sa consolation et de sa justification. Elle est la réalisation fantasmagorique de l’essence humaine, parce que l’essence humaine ne possède pas de réalité véritable. Lutter contre la religion, c’est donc indirectement lutter contre le monde dont la religion est l’arôme spirituel.

La détresse religieuse est, pour une part, l’expression de la détresse réelle et, pour une autre, la protestation contre la détresse réelle. La religion est le soupir de la créature opprimée, la chaleur d’un monde sans cœur, comme elle est l’esprit de conditions sociales d’où l’esprit est exclu. Elle est l’opium du peuple.

Abolir la religion en tant que bonheur illusoire du peuple, c’est exiger son bonheur réel. Exiger qu’il renonce aux illusions sur sa situation c’est exiger qu’il renonce à une situation qui a besoin d’illusions. La critique de la religion est donc en germe la critique de cette vallée de larmes dont la religion est l’auréole.

La critique a dépouillé les chaînes des fleurs imaginaires qui les recouvraient, non pour que l’homme porte des chaînes sans fantaisie, désespérantes, mais pour qu’il rejette les chaînes et cueille la fleur vivante. La critique de la religion détruit les illusions de l’homme pour qu’il pense, agisse, façonne sa réalité comme un homme désillusionné parvenu à l’âge de la raison, pour qu’il gravite autour de lui-même, c'est-à-dire de son soleil réel. La religion n’est que le soleil illusoire qui gravite autour de l’homme tant que l’homme ne gravite pas autour de lui-même.

C’est donc la tâche de l’histoire, après la disparition de l’Au-delà de la vérité, d’établir la vérité de ce monde-ci. C’est en premier lieu la tâche de la philosophie, qui est au service de l’histoire, une fois démasquée la forme sacrée de l’auto-aliénation de l’homme, de démasquer l’auto-aliénation dans ses formes non sacrées. La critique du ciel se transforme par là en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique.

 

Marx – Critique du droit politique hégélien

 

 

« Le gouvernement arbitraire d'un prince juste et éclairé est toujours mauvais. Ses vertus sont la plus dangeureuse et la plus sûre des séductions : elles accoutument insensiblement un peuple à aimer, à respecter, à servir son successeur, quel qu'il soit, méchant et stupide. Il enlève au peuple le droit de délibérer, de vouloir ou ne vouloir pas, de s'opposer même à sa volonté, lorsqu'il ordonne le bien ; cependant ce droit d'opposition, tout insensé qu'il est, est sacré: sans quoi les sujets ressemblent à un troupeau dont on méprise la réclamation, sous prétexte qu'on le conduit dans de gras pâturages. En gouvernant selon son bon plaisir, le tyran commet le plus grand des forfaits. Qu'est-ce qui caractérise le despote ? Est-ce la bonté ou la méchanceté ? Nullement. Ces deux notions n'entrent seulement pas dans sa définition. C'est l'étendue et non l'usage de l'autorité qu'il s'arroge. Un des plus grands malheurs qui pût arriver à une nation, ce seraient deux ou trois règnes d'une puissance juste, douce, éclairée, mais arbitraire : les peuples seraient conduits par le bonheur à l'oubli complet de leurs privilèges, au plus parfait esclavage. »

 

Diderot – Lettre à Helvétius

 

 

« Entre les désirs et leurs réalisations s’écoule toute la vie humaine. Le désir, de sa nature, est souffrance ; la satisfaction engendre bien vite la satiété ; le but était illusoire ; la possession lui enlève son attrait ; le désir renaît sous une forme nouvelle, et avec lui le besoin ; sinon, c’est le dégoût, le vide, l’ennui, ennemis plus rudes encore que le besoin. – Quand le désir et la satisfaction se suivent à des intervalles qui ne sont ni trop longs, ni trop courts, la souffrance, résultat commun de l’un et de l’autre, descend à son minimum ; et c’est là la plus heureuse vie. Car il est bien d’autres moments, qu’on nommerait les plus beaux de la vie, des joies qu’on appellerait les plus pures ; mais elles nous enlèvent au monde réel et nous transforment en spectateurs désintéressés de ce monde ; c’est la connaissance pure, pure de tout vouloir, la jouissance du beau, le vrai plaisir artistique ; encore ces joies, pour être senties, demandent-elles des aptitudes bien rares ; elles sont donc permises à bien peu, et, pour ceux-là même, elles sont comme un rêve qui passe ; au reste, ils les doivent, ces joies, à une intelligence supérieure, qui les rend accessibles à bien des douleurs inconnues du vulgaire plus grossier, et fait d’eux, en somme, des solitaires au milieu d’une foule toute différente d’eux ; ainsi se rétablit l’équilibre. Quant à la grande majorité des hommes, les joies de la pure intelligence leur sont interdites, le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse ; ils sont réduits au simple vouloir. »

 

Schopenhauer – Le monde comme volonté et comme représentation

 

 

« Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde ; et plus généralement, de m’accoutumer à croire qu’il n’y a rien qui soit entièrement en notre pouvoir que nos pensées, en sorte qu’après que nous avons fait notre mieux, touchant les choses qui nous sont extérieures, tout ce qui manque de nous réussir est, au regard de nous, absolument impossible. Et ceci me semblait être suffisant pour m’empêcher de rien désirer à l’avenir que je n’acquisse, et ainsi pour me rendre content. Car notre volonté ne se portant naturellement à désirer que les choses que notre entendement lui représente en quelque façon comme possibles, il est certain que si nous considérons tous les biens qui sont hors de nous comme également éloignés de notre pouvoir, nous n’aurons pas plus de regret de manquer de ceux qui semblent être dus à notre naissance, lorsque nous en serons privés sans notre faute, que nous avons de ne posséder pas les royaumes de la Chine ou du Mexique ; et que faisant, comme on dit, de nécessité vertu, nous ne désirerons pas davantage d’être sains, étant malades, ou d’être libres, étant en prison, que nous faisons maintenant d’avoir des corps d’une matière aussi peu corruptible que les diamants, ou des ailes pour voler comme les oiseaux. »

 

Descartes – Discours de la méthode (III).

 

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7 novembre 2013 4 07 /11 /novembre /2013 10:04

Par son étymologie, le bonheur (bon-heur) renvoie au hasard. Serait heureux celui qui a de la chance. Et, en effet, si être heureux signifie voir tous ses désirs satisfaits, ne devons-nous pas admettre que cela relève plus du hasard que de notre volonté ? La santé, l’amour semblent par exemple être des domaines dans lesquels la volonté ne suffit pas à nous prémunir contre les coups du sort. Alors, ne sommes-nous pas impuissants face aux hasards de la vie, dont notre bonheur dépend ? Pourtant, cela supposerait une forme de fatalité. Alors nous ne serions pas libres, pas suffisamment pour infléchir le cours de notre propre existence. Le bonheur ne peut-il pas être produit par notre action, notre capacité à faire évoluer la situation en notre faveur ? Ne pouvons-nous pas être les véritables artisans de notre bonheur ? Plus encore,  ne peut-on pas être heureux même si nous échouons à modifier notre sort ? Il arrive d’ailleurs qu’à circonstances égales, après un deuil par exemple, l’un soit heureux à nouveau quand l’autre n’y parviendra pas. Etre heureux, c’est en effet aussi se sentir heureux, en toutes circonstances. Le bonheur se trouverait plus alors dans l’état d’esprit adopté que dans les événements vécus. Dès lors, ne dépend-il pas de nous d’éprouver ce sentiment de plénitude ? Mais comment y accéder lorsque les événements semblent y faire obstacle ?

Nous essaierons donc de voir s’il dépend de nous d’être heureux. Le bonheur réside-t-il dans la réalité des événements vécus ou dans l’état d’esprit adopté face à eux ?

Le bonheur n’est-il pas lié aux hasards de la vie que produisent satisfaction et insatisfaction ? Mais ne peut-on pas maîtriser notre existence pour être pleinement satisfaits ? Même lorsque les événements sont défavorables, n’est-il pas possible d’être heureux ?

 

Notre bonheur repose sur une part de chance que nous ne maîtrisons pas…

 

Le bonheur apparaît comme lié au hasard d’abord par son étymologie. Etre heureux signifie en effet ne manquer de rien. Or, un tel état de satisfaction totale semble difficile, impossible à atteindre. A peine avons-nous satisfait un désir qu’un autre apparaît. Le désir ne semble pas être quelque chose que l’on puisse maîtriser mais une force qui nous domine. Pire encore, le bonheur suppose une satisfaction durable, continue. Le plaisir, cette décharge ponctuelle éprouvée lorsqu’un désir est satisfait ne suffit pas à faire notre bonheur, qui lui est durable. Là encore, il semble ne pas dépendre de nous d’accéder à un tel état. Si nous pouvons mettre en œuvre nos forces pour satisfaire ponctuellement un désir, comment nous assurer que cela durera ? Ainsi,  dans les Fondements de la métaphysique des mœurs, Kant définit le bonheur comme un « idéal de l’imagination » impossible à définir, précisément parce qu’il nous est impossible de nous assurer que ce qui nous satisfera ponctuellement nous rendra heureux de manière pérenne. Comment savoir, par exemple, que la richesse ne nous apportera pas plus de souci que de satisfaction, que le savoir ne nous amène pas à prendre connaissance de faits dont l’ignorance nous maintenait dans une heureuse illusion ? Ainsi nous ne pouvons être les auteurs d’une satisfaction durable et totale, car nous ne savons ce qu’il adviendra demain de ce que nous souhaitons aujourd’hui. Cela montre que le bonheur ne dépend pas de nous : il faudrait pour cela, dit Kant, être omniscient.

Comment, d’ailleurs, pourrions-nous espérer atteindre une satisfaction totale alors que nous vivons en société ? Le bonheur ne dépend pas de nous, individus, parce qu’il dépend de nous, communauté. Si le bonheur est un état de satisfaction totale et durable, il dépendra aussi de la régulation politique qui peut nous apporter cette satisfaction du point de vue économique (en assurant une croissance nous garantissant une satisfaction matérielle), social (en nous protégeant, précisément, contre les aléas de l’existence comme la maladie, les accidents, le chômage), politique (nous rendant libres). En somme, si la déclaration d’indépendance des Etats-Unis reconnaît le droit à la recherche du bonheur comme un droit naturel et inaliénable, elle reconnaît aussi que ce droit doit être garanti par l’Etat, qu’il ne dépend pas seulement de nous mais de ce que la collectivité à laquelle nous appartenons nous fournit comme environnement.

 

Il ne dépend donc pas de nous d’être heureux car si le bonheur est un état de satisfaction total et durable, nous n’avons pas une maîtrise suffisante du cours des choses pour éviter les événements qui pourraient nuire à notre pleine satisfaction. Est-ce à dire alors que l’homme est impuissant face au cours de sa propre existence ? La liberté dont nous sommes supposés être dotés n’implique-t-elle pas que nous soyons capables d’agir sur le cours des choses pour, loin de rester passifs, être les artisans d’un bonheur qui dépendrait alors entièrement de nous ?

 

… mais nous pouvons essayer d’infléchir le cours de notre existence pour atteindre le bonheur…

 

N’y a-t-il pas, en effet, une forme de mauvaise foi à prétendre que nous sommes malheureux par le coup du sort ? La liberté ne suppose-t-elle pas au contraire une capacité à agir sur la réalité pour la transformer ? Dire que le bonheur ne dépend pas de nous, ce serait renoncer à cette liberté qui nous est pourtant essentielle. La liberté désigne la capacité à agir en accord avec notre volonté, envers et contre la réalité matérielle, naturelle, sociale, etc… S’abriter derrière les événements pour justifier que nous ne puissions être heureux, c’est s’avouer vaincus face à la réalité. C’est en somme une forme de cette mauvaise foi dont parle Sartre, qui consiste précisément à se réfugier derrière les circonstances pour se décharger de l’énorme poids des responsabilités attachées à notre totale liberté. Or, même celui qui est en prison est, dit Sartre, capable d’agir sur son destin pour améliorer sa situation, essayer de se faire libérer, de s’échapper... S’il nous faut prendre notre liberté au sérieux, alors nous devons admettre que le bonheur dépend de nous. Même si nous vivons des situations que nous n’avons pas choisies, nous restons libres de choisir ce que nous en faisons, nous restons libres d’essayer de les transformer et d’agir sur la réalité sans nous contenter de la subir.

 

C’est peut-être la raison pour laquelle tous ne parviennent pas à être heureux. Le bonheur dépendrait en effet de notre puissance. En tant que satisfaction de nos désirs, le bonheur est alors essentiellement lié à notre liberté d’agir. Tous ne peuvent pas obtenir ce qu’ils désirent, le bonheur est alors relatif non seulement parce que nous n’en avons pas tous la même définition, mais aussi parce que nous ne sommes pas tous égaux en termes de puissance. Nous ne possédons pas tous le même pouvoir d’infléchir la réalité, et c’est aussi en cela que le bonheur dépend de nous. C’est bien ce qui fait à dire à Calliclès, dans le Gorgias, que le bonheur consiste à laisser libre cours à ses désirs, pour celui qui est assez puissant pour les satisfaire. La liberté est pouvoir, avant tout politique, celui de l’homme né fils de roi ou qui a su se hisser à un poste de commandement. Seul celui doté d’une telle puissance peut être heureux, car lui seul peut extraire de la réalité, par sa force, ce qui lui permettra de satisfaire ses désirs.

 

Alors, le bonheur, comme satisfaction de nos désirs, dépend donc de nous. Il est relatif à notre degré de liberté et de puissance. Pourtant, dans une même situation, de maladie par exemple, il est possible que l’un, même impuissant, soit heureux là où l’autre ne l’est pas. Cela n’indique-t-il pas que le bonheur dépend de nous, d’abord dans le sens où il réside dans notre état d’esprit plus que dans les circonstances vécues qui s’imposent à nous ?

 

… même si le bonheur tient d’abord à notre manière d’être.

 

Le bonheur est en effet aussi un sentiment, un état vécu. Dès lors, il peut reposer plus dans ce que nous pensons des circonstances qui nous incombent. Même dans des circonstances défavorables, il nous est ainsi possible d’accéder au bonheur grâce à la manière dont nous abordons ces événements. N’est-ce pas, d’ailleurs, ce que nous faisons pour un ami traversant une période difficile ? Nous ne restons pas silencieux, mais essayons de le réconforter, le raisonner pour qu’il puisse envisager un futur bonheur possible au-delà de sa tristesse immédiate. Si nous le faisons pour les autres, ne pouvons-nous pas le faire pour nous-mêmes ? Nous sommes habitués à nous croire impuissants face aux coups du sort. Mais ce ne sont pas les événements qu’il faut forcer en notre faveur pour être heureux, c’est à nous-mêmes que nous devons faire violence pour nous obliger à voir ce qu’il y a de positif là où la tristesse domine. Une fois passés le choc et la tristesse d’un deuil, par exemple, nous pouvons envisager d’être heureux, si nous ne nous focalisons pas sur ce que nous n’avons pas ou plus (perte irréparable à l’égard de quoi nous ne pouvons rien), pour porter notre attention sur ce que nous avons (les souvenirs qui restent du disparu par exemple, la mémoire que nous portons de lui). Alors, vivre un deuil, même vivement, n’annule pas toute possibilité d’un bonheur futur. Il nous appartient d’attacher notre esprit à ce que nous avons plutôt qu’à ce que nous n’avons pas. Là est le sens de la maxime stoïcienne, nous invitant à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, comme le dit Epictète. On accède au bonheur par la volonté, car elle nous permet de voir et penser la réalité sous l’angle nécessaire pour être heureux. Rousseau va finalement dans le même sens dans la Nouvelle Héloïse, même s’il arrive à une conclusion contraire nous invitant à nous réfugier dans le « pays des chimères ». Ce n’est pas en essayant de transformer une réalité face à laquelle nous sommes souvent impuissants que l’on peut faire son propre bonheur, mais en nous satisfaisants de ce que nous avons, soit ce qui dépend de nous, soit ce refuge que constitue l’imagination, l’anticipation, ce bonheur avant le bonheur qu’est le désir.

 

Le bonheur dépend donc de nous. Certes, les circonstances extérieures pèsent sur nous et nous font éprouver, ponctuellement, tristesse ou joie, mais le bonheur, état de plénitude qui dure, ne se trouve pas dans l’aléa des circonstances. Il est dans ce que nous en faisons. Maigre consolation pour celui qui est frappé par une tragédie, et sans doute dans certains cas il ne reste rien vers quoi se tourner pour compenser ce que nous n’avons plus. En cela, sans doute ne pouvons-nous pas toujours être heureux. Mais si nous pouvons l’être, cela dépend de nous et de notre capacité à accepter les événements.

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7 novembre 2013 4 07 /11 /novembre /2013 09:47

Introduction

 

I. Il ne dépend pas de nous d'être heureux car nous ne sommes pas suffisamment maîtres des circonstances qui déterminent notre bonheur.

 

I.A. Il y a un poids des circonstances contre lesquelles je ne peux rien. Hegel, Leçons sur la philosophie de l'histoire, Marx, Idéologie allemande. Kant, Idée d'une histoire universelle (insociable sociabilité).

 

I.B. donc le bonheur comme état de satisfaction totale est hors de notre portée, impossible à atteindre, il ne dépend pas de nous d'y accéder. Schopenhauer, Le monde comme volonté et comme représentation, p.80.

 

I.C. donc le bonheur n'est qu'un idéal creux qui ne dépend pas de nous car nous ne savons tout simplement pas quoi faire pour y accéder. Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs, p.418, Pascal, Les pensées, p.416.

 

Ainsi le bonheur ne dépend pas de nous : il semble hors de notre portée d'y accéder, une satisfaction totale et durable ne peut pas être obtenue dans un monde dont nous ne maîtrisons pas tous les aléas. Parce que c'est donc une idée creuse, le bonheur dépend aussi de nous au sens où il est relatif à chacun: ce n'est pas un idéal universalisable, comme le montre d'ailleurs Kant, il dépend de chacun, varie selon les uns et les autres.

 

II. Il dépend de chacun d'être heureux :  le bonheur se définit relativement aux individus.

 

II.A. Certes, tout le monde veut être heureux. Le bonheur est une fin universelle et une fin en soi. Aristote, Ethique à nicomaque, p.413.

 

II.B. Mais, seulement certains peuvent l'obtenir, ont le pouvoir d'obtenir ce qu'ils désirent et veulent de la réalité. Platon, Gorgias.

 

II.C. Ce n'est pas seulement une question de pouvoir, c'est aussi relatif à notre volonté, à la manière dont nous faisons usage de notre liberté même lorsque les circonstances sont défavorables. Sartre, L'existentialisme est un humanisme.

 

Ainsi, le bonheur dépend de chacun, est relatif à chacun. Mais dès lors, cela ne signifie-t-il pas que le bonheur se trouve plus dans la manière dont nous nous positionnons par rapport aux circonstances que dans les circonstances elles-mêmes? Le bonheur ne dépend-il pas plus de notre état d'esprit que de nos conditions matérielles?

 

III. Il dépend de nous d'être heureux, c'est-à-dire d'accéder à une forme de réalisation de soi et de sérénité car il nous appartient d'adapter notre pensée à ce que les circonstances nous font subir.

 

III.A. Le bonheur est un sentiment qui est déconnecté des seules conditions objectives.

 

III.B. Pour accéder à ce sentiment de plénitude, nous pouvons apprendre à mieux gérer nos désirs. Epicure, Lettre à Ménécée. p.424

 

III.C. Le bonheur est ainsi plus affaire de savoir que de vouloir. Epictète, Le manuel, p.414, 384. Descartes, Discours de la méthode, p.75, Spinoza, Marx...

 

conclusion

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