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19 janvier 2015 1 19 /01 /janvier /2015 09:42

Introduction. L’échange est une relation réciproque où chacun donne et reçoit. Grâce à lui nous pouvons obtenir quelque chose d’autrui, sans utiliser la force ni espérer un don. Cela explique l’omniprésence de l’échange dans les sociétés, comme échange de biens ou de services, grâce au troc ou à la monnaie. S’il s’agit donc de donner en échange d’autre chose, les deux parties ne peuvent être satisfaites que si les biens échangés sont d’égale valeur. Le bénéfice de l’échange est alors nul. Si je gagne quoique ce soit dans l’échange, l’autre partie est en effet perdante. Comment pourrait- elle accepter ces conditions ?

Mais cela n’est possible que si la valeur de ce qui est échangé est justement quantifiée. Or, ce n’est pas toujours le cas. Dès lors, l’échange ne peut-il pas se déséquilibrer et ne peut-on pas y gagner – ou y perdre ? Nous disons parfois que nous avons fait une « bonne affaire » car nous estimons avoir payé un bien ou un service en dessous de sa valeur. L’échange peut donc bien être « gagnant » à hauteur du profit que nous faisons. Mais cela ne revient-il pas à dire que c’est un rapport de force, où chacun essaye de prendre le dessus sur l’autre ? Or l’échange n’est-il pas défini comme un rapport de confiance, qui n’est en rien basé sur la force ?

Nous nous demanderons donc ce que l’on gagne à échanger. L’échange est-il une relation toujours intéressée qui, si elle se fait initialement à jeu égal, tend à dégénérer en rapport de force, ou est-il totalement désintéressé ? Nous verrons que le bénéfice de l’échange est d’abord nul car il semble que ce soit à cette seule condition qu’il puisse avoir lieu. Mais la recherche de l’intérêt particulier ne permet-elle pas de tirer profit de l’échange ? Peut-on encore parler d’échange pour un tel rapport de force ?

 

I.A. Comme nous l’avons dit, l’échange est une relation réciproque dans laquelle au moins deux acteurs donnent et reçoivent. Il permet donc d’obtenir quelque chose d’autrui. Pour cela, je peux utiliser différents moyens. Le premier serait de compter sur la bienveillance d’autrui et d’espérer qu’il me donne ce que je lui demande. Il y a fort à parier que l’humanité aurait disparu depuis longtemps si elle avait dû ainsi compter sur la bonté des autres. L’autre solution est d’essayer d’obtenir ces biens par la force. Là encore, cette solution n’est pas satisfaisante car elle ne saurait être pérenne (je ne peux être sûr d’être toujours le plus fort). Ni le vol, ni le don ne constituent donc des moyens satisfaisants d’obtenir ce que nous voulons. Les hommes ont alors recours à l’échange. Contrairement au vol, l’échange est pacifique : il suppose le consentement des deux acteurs. Contrairement au don, l’échange repose sur la recherche d’un intérêt. Ce que j’obtiens de l’autre n’est pas gratuit : mon partenaire consent à échanger parce qu’il obtient de moi autre chose en retour. Dans Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, Smith montre ainsi comment l’échange est rendu possible parce que nous nous y adressons à l’intérêt de notre interlocuteur, non à sa bienveillance. L’échange flatte l’égoïsme des individus : si nous voulons convaincre l’autre d’échanger avec nous, nous devons lui parler de son intérêt et non de nos besoins.

I.B. Il paraît logique d’en conclure que, pour que l’échange soit accepté, il faut que le bénéfice soit nul. Si l’une des deux parties était gagnante, elle introduirait une forme de vol dans une relation supposée consentante et pacifique. Car je ne peux accepter d’échanger à perte que parce que je n’ai pas le choix (ce qui revient à me forcer à échanger en utilisant la nécessité comme levier) ou parce que j’ignore l’inégale valeur des objets échangés (ce qui revient à abuser de mon ignorance). Ainsi, un véritable échange, qui ne soit ni vol ni coup de force, suppose une valeur équitable des objets échangés, donc un profit nul des deux côtés. Si l’échange doit rester pacifique, réciproque et consenti, il faut que l’on n’y gagne rien. La recherche du profit pervertit l’échange car elle y introduit une part de violence.

Transition. Pourtant, est-il en pratique possible d’éviter que l’échange se transforme en rapport de force ? Si en effet la recherche de l’intérêt individuel motive l’échange, ne va-t-il pas toujours tendre vers un déséquilibre, chacun essayant de servir son intérêt propre au détriment de celui de l’autre ?

 

II.A. En théorie l’échange est équilibré et pacifique mais il paraît difficile, dans la pratique, qu’il ne se déséquilibre pas. Si les individus échangent par intérêt, la nature de leur relation change. L’intérêt de chacun n’est en effet pas seulement d’obtenir de l’autre ce qu’il veut, mais c’est aussi de tirer profit de l’échange, ce qui se fait au détriment de l’autre. Cela transforme donc l’échange en relation de force, dans laquelle chacun essaie de prendre l’ascendant sur l’autre pour satisfaire au mieux son intérêt particulier, en rompant l’équilibre entre les objets échangés. Dans Le Capital, Marx montre ainsi comment la relation de travail dégénère en rapport de force. Elle est pourtant initialement un échange équitable. Les deux contractants, l’employeur et l’employé, obtiennent de l’autre ce dont ils ont besoin : l’un un salaire pour vivre, l’autre une force de travail pour produire. Mais leurs intérêts divergents. Chez l’ouvrier, l’intérêt est de travailler un minimum pour une rémunération maximale. C’est l’inverse chez le capitaliste : rémunérer le moins possible un maximum de travail. D’équitable qu’il était, l’échange devient alors exploitation et aliénation du travailleur car le rapport entre les deux parties est déséquilibré. Ainsi on gagne (ou l’on perd) dans l’échange la satisfaction de nos intérêts particuliers, en fonction du rapport de force qui existe entre les parties. Or, cela ne suppose-t-il pas que l’échange s’inscrive une logique de pouvoir ? Mais n’est-ce pas toujours le cas ? 

II.B. L’échange dépasse en effet le domaine strictement économique. Même des actes désintéressés comme le don peuvent constituer une forme d’échange où autre chose se joue. Lorsque j’offre un cadeau à un de mes proches, n’attends-je pas quelque chose en retour ? De l’affection, de la reconnaissance, un autre cadeau peut-être… Supposer que je n’attende rien en retour, c’est supposer que le don soit purement gratuit, sans motivation, ni but. Or, si tel était le cas, je ne donnerais tout simplement pas. Dans son Essai sur le don, Mauss montre ainsi comment dans certaines sociétés traditionnelles s’instaure un système de dons et contre-dons entre des clans, tribus ou familles. On donne toutes sortes d’objets : des festins, des politesses, des femmes…  Par là l’harmonie sociale et les hiérarchies sociales au sein du groupe sont assurées. Sera le maître de l’autre celui qui aura « contre-donné » plus qu’il n’aura donné. Ainsi, derrière cet acte apparemment gratuit qu’est le don se cache un échange, et derrière celui-ci une opération de pouvoir.

Transition. On ne gagne donc pas seulement dans l’échange la satisfaction d’un intérêt particulier et un profit. Puisque l’on peut perdre à échanger, le bénéfice est aussi symbolique : sort gagnant de l’échange celui qui a su affirmer son pouvoir sur l’autre, pouvoir économique, politique, social, etc… Mais parle-t-on encore bien d’échange s’il s’agit d’un rapport de force ? Cela ne signifie-t-il pas alors que pour être authentique, ne pas être un rapport de force, l’échange doit être désintéressé ? Qu’y gagne-t-on alors ?

 

III.A. S’il est motivé par la recherche de l’intérêt particulier, l’échange dégénère en rapport de force. Il doit donc être désintéressé pour ne pas être dénaturé. Mais alors que gagne-t-on à échanger au-delà des intérêts privés ? Est-il possible que l’échange vise un intérêt commun ? L’échange deviendrait partage, mise en commun des savoirs, des compétences, des informations au service d’un objectif qui n’a plus rien de particulier. Il est alors désintéressé (il ne vise pas la satisfaction d’intérêts particuliers), sans être purement gratuit (il est motivé par la recherche d’un intérêt commun). Cette différence entre l’échange dénaturé en rapport de force et l’échange comme partage explique l’incompréhension entre Gorgias et Socrate, menant au départ du premier dans le Gorgias de Platon. Gorgias pense en effet que le dialogue est une relation de pouvoir, où se joue l’emprise de l’un sur l’autre et où le seul objectif est de l’emporter. Pour Socrate, au contraire, le dialogue est recherche de la vérité, commune aux deux interlocuteurs. Ainsi, seul Socrate échange réellement avec son interlocuteur.

III.B. Dès lors, l’échange n’est authentique que s’il est partage désintéressé. Cela ne signifie pas que nous n’y gagnons rien. Ce que nous y gagnons n’est pas un gain privé, mais un bien commun. Au-delà de ce gain, l’échange rend aussi possible la rencontre de l’autre. Il est désintéressé parce qu’il ne porte pas tant sur ce qui est échangé que sur la personne avec qui nous échangeons. La condition du partage est en effet l’écoute de l’autre. Si l’échange est intéressé, l’autre partie ne constitue qu’un moyen, accessoire, en vue d’une fin qui est l’objet que l’on cherche à obtenir. Lorsque l’échange est désintéressé, au contraire, la personne avec qui j’échange importe : j’échange différemment selon l’interlocuteur. Ainsi Merleau-Ponty montre dans la Phénoménologie de la perception que le dialogue constitue une relation inédite à l’autre car il nous sort du for de nos subjectivités pour permettre une véritable rencontre où les deux pensées des interlocuteurs ne font plus qu’une.

 

 

Conclusion. Si l’on espère gagner de l’échange la satisfaction de nos intérêts particuliers, résignons nous donc à ce que l’échange ne soit jamais qu’un rapport de force derrière lequel se cache des enjeux de pouvoir. L’échange dans son sens authentique est réciproque, consenti et pacifique, ce qui ne peut se faire que s’il est désintéressé, vise un intérêt commun à tous les acteurs. On n’y gagne rien, sinon l’inestimable satisfaction de rencontrer l’autre, d’instaurer avec lui une connivence, peut-être même une forme d’amitié.

 

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